[Interview] La Nuit Américaine : « Nuit Américaine » !

La Nuit Américaine, formation éthérée à l’univers sonore délicatement cinématographique, est une petite étoile au style singulier. Sous l’ombre complice de leur patronyme, référence évocatrice du célèbre film de François Truffaut, le groupe tisse une atmosphère où l’émotion reste subtile, où le voyage nous mène dans un paysage intérieur en métamorphose.
Le duo marque un jalon important de son parcours artistique avec la publication ce jeudi 20 juin de « Nuit Américaine ». Un EP cinq titres, habillé de guitares vaporeuses, bercées par des nappes électroniques discrètes et des textes habités. Ils créent ainsi une tension sensuelle palpable avec une sobriété remarquablement élégante. Et si vous savez lâcher prise encore un peu plus, les rythmes, tout en nuances, s’insinueront dans vos têtes de mélomanes insatiables, investissant les espaces lointains, les frontières nocturnes mouvantes, rêves sans fin, intime et cérémonial, dans un éclairage sonore qui flirte avec l’épiderme des sens. 
« Nuit Américaine » est le fruit d’une alchimie méticuleuse, de séances d’introspection collective et d’une belle complicité partagée. Les ambiances y sont pensées avec une rigueur architecturale, les transitions, construites avec la précision d’un metteur en scène, et la palette sonore, riche en contrastes subtiles, ne cesse de surprendre par son raffinement. Un univers nocturne peuplé d’échos et de silences, en quête de la lumière cachée dans l’obscurité.

 

Votre projet évoque “un ailleurs sensible et intemporel” comment traduisez-vous cette idée dans votre musique et vos visuels ?
Cet ailleurs c’est comme une chambre secrète qu’on ouvrirait dans nos souvenirs, ou un lieu intérieur qu’on cherche à préserver du bruit du monde. On compose avec une forme de mélancolie lumineuse qui cherche à arrêter le temps. Musicalement, on travaille souvent sur des textures qui flottent, qui respirent. Et dans les visuels on essaie toujours de créer une forme de poésie distante qui laisse place à l’interprétation, comme dans un rêve qu’on aurait oublié à moitié. On raconte notre histoire mais avec une forme de pudeur qui laisse de la place pour tout le monde.


L’EP Nuit Américaine oscille entre électro pop et new wave, quels artistes ou univers vous ont influencé dans cette exploration sonore ?
On a évolué avec des groupes comme Yazoo ou Chromatics qui savent mêler des émotions intimes à des sons larges, presque ciné. Les musiques de films ont aussi été très présentes pour nous : David Lynch, Blade Runner, la musique de Vangelis… Ces univers nous donnent une vraie sensation de flottement, de mystère, où l’on a toute la place pour projeter ses propres émotions. On est aussi très attaché·e·s à la French Touch des débuts avec Air et Sébastien Tellier pour leur façon de suggérer les choses, avec une élégance un peu mélo jamais trop appuyée. Récemment on est très inspirés par des artistes comme Oklou ou SOPHIE, elles arrivent à créer des sons presque cosmiques qui parlent pourtant de choses simples et très humaines. Il y a quelque chose de pur comme si on reconnaissait dans ces sons quelque chose qu’on avait déjà ressenti avant, une madeleine de Proust oubliée.

 


Vous parlez de la musique comme d’une “renaissance discrète”, Pourquoi ce nom ? Est-ce une manière de dire que ce projet est né d’un besoin de recommencement ?
On parle de renaissance discrète parce que rien n’a explosé et en même temps quelque chose a recommencé. Le projet est né juste après le premier confinement et cette impression d’après-tempête on la porte avec nous. Pour nous, la musique est devenue un lieu fragile où l’on pouvait recommencer à rêver et dire autrement, c’est plus un souffle qu’un cri. Ce n’est pas une renaissance spectaculaire, mais une reconstruction souterraine, une façon d’habiter les ruines pas pour s’y enfermer mais pour y faire germer autre chose. Alors oui, il y avait sans doute un besoin de recommencement. Il y aura toujours quelque chose à sauver ou à réécrire.

 


L’idée d’imaginer “le monde après la fin”, après la covid, revient souvent dans les discussions et dans les sujets de chanson, peut être encore plus pour votre génération. Est-ce pour vous une vision dystopique, poétique, ou les deux ?
Concrètement, ce qu’il s’est passé pendant cette période c’est terrible et l’impact sur les gens commence à peine à se faire ressentir. Si les gens aujourd’hui se replient vers eux-mêmes et leur propre communauté ce n’est pas pour rien. On ne cherche pas à parler de ce monde-là en réalité mais plus d’un autre, peut être celui qui aurait existé sans tout ça, est ce qu’il est dystopique, poétique, les deux ou aucun de tout ça ? Personne ne le sait.


Comment travaillez-vous ensemble, en duo ? Avez-vous des rôles bien définis ou est-ce plus organique ?
On avance un peu en miroir, il y a une confiance profonde qui fait que chacun·e sait instinctivement où laisser la place à l’autre. On s’écoute beaucoup, au sens large. Nos rôles sont complémentaires mais pas rigides, Gauthier s’occupe de la production et du son dans le détail, c’est un peu l’architecte du son, Louise est plus penchée sur la composition et l’écriture des textes, des lignes de chant et des textures qui redessinent souvent le morceau. C’est là que quelque chose se passe. Il y a une part d’intuition, mais aussi une grande précision, avec le temps on a construit un langage commun plutôt que se répartir les tâches !


Que ressentez-vous à l’approche de la sortie de l’EP le 20 juin ? 
C’est une forme d’émotion contenue, on a longtemps façonné ce projet dans la discrétion, presque comme un secret. Alors le laisser partir, c’est à la fois une mise à nu et un soulagement. C’est un peu comme ouvrir une boîte scellée depuis des mois, remplie de fragments de nous et de ce qu’on n’a pas toujours su dire autrement qu’en musique. On espère que ces morceaux résonneront chez d’autres, comme des échos d’intime, qu’ils trouvent leur place dans la vie des gens, là où on ne les attend pas.

 

Y a-t-il un morceau qui symbolise particulièrement votre projet ?
« Dernière étoile » sans vouloir l’expliquer…

 

Photo de couv. Adèle Cartier
Artwork Alexandre Barbier