[Interview] Julien Bonnet de Deportivo – Festival Mythos 2024

Rien de ressemble à Deportivo, ce groupe qui, bien plus que d’autres, marque au fer rouge l’ADN d’un rock français plein de spontanéité, de positivité et d’une énergie incomparable. Riche d’une discographie sans faille et après une longue pose de 7 ans, ils reviennent au devant de la scène avec de nouveaux singles et une tournée. Un bonheur doublement appréciable auquel s’ajoute la joie d’une discussion avec Julien Bonnet, batteur de Deportivo, qui quelques heures avant de monter sur la scène du cabaret botanique du festival Mythos, évoque avec moi ces souvenirs et surtout son plaisir d’être là. 

Première question, qu’est-ce qui vous a motivé à revenir ? Et est-ce qu’on peut parler d’une reformation ?
En fait on a eu une pause à durée indéterminée. A l’époque on avait enchaîné deux tournées. Entre la tournée d’un disque et l’anniversaire de premier album. Et du coup on était fatigué, on s’est posé un peu. Pour autant on ne s’est jamais dit que l’histoire était terminée, juste qu’on allait laisser couler de l’eau un peu sous le pont.
Puis à un moment avec Jérôme on se rappelait, on avait déjà envie de rejouer. Mais là il y a eu toutes les années Covid, qui forcément étaient bien compliquées pour pouvoir refaire des choses ensemble.

Avec le recul je suis plutôt content qu’on n’ait pas prévu ça à ce moment-là. Parce qu’il y a plusieurs groupes qui ont pris ça de plein fouet…
Donc nous on a pris plutôt notre temps, ça s’est fait comme ça sans forcer les choses. Il n’y avait ni volonté, au début on ne s’est pas dit : “Vas-y on fait une pause de 6 ans, 7 ans”. On savait que ce n’était pas terminé non plus. C’était vraiment un espèce de stand-by un peu indéterminé.
Parfois je croisais des mecs qui me disaient “ Avec Deportivo, c’est terminé non ?” Je répondais en rigolant “Si c’était terminé je le saurais je crois”.
Je pense que beaucoup de gens dans leur tête se disaient la même chose, vu qu’il n’y avait pas vraiment d’actualité. 

Comme beaucoup de groupes, qui sont un peu en sommeil, forcément les gens pensent que c’est fini. Sauf bien sûr si le groupe annonce un break ou carrément des séparations. Mais là ce n’était pas le cas. Le bon mot c’est vraiment sommeil.

D’ailleurs je me souviens qu’un des derniers trucs qu’on avait dû poster sur les réseaux, ça devait être un ours en hibernation. Une hibernation de quelques années (Rire).



Et justement ces années-là n’ont pas été non plus complètement effacées. Il s’est passé des choses ?
Oui il s’est passé pas mal de choses musicalement. Jérôme a travaillé sur deux albums. Un album vraiment solo sous le nom de Navarre. Et puis un disque Vertige qu’il avait travaillé avec Robin Feix, de Louise Attaque. Donc lui il n’a jamais cessé de travailler dans la musique. D’ailleurs je crois qu’il ne cessera jamais. C’est un vrai auteur, un compositeur.
Moi j’ai eu d’autres activités plutôt du côté de l’image. Parce que le dessin, le graphisme c’est une de mes autres passions. J’ai plutôt fait ça pendant ces années-là. La batterie est restée rangée dans ses étuis pendant un petit moment. Puis après j’ai quand même remonté un truc au grenier, pour le plus grand plaisir de mes voisins d’immeubles. Ce qui m’a permis de re-remplir à nouveau les réservoirs d’envie avec ces sentiments qui sont ma petite recette dans Deportivo. A ce moment-là j’en avais plein les cuves. 

 

Deportivo c’est aussi une amitié ?
Ça reste quand même soudé en nous, musique ou pas musique, c’est une amitié de très longue date. Elle se traduit et s’extravertit par la musique. Mais on n’a jamais perdu le contact. On se connait depuis le CM1 ou le CM2, alors pas besoin d’activité pour rester potes en réalité. C’est du solide. 

 

Est-ce que tu te rappelles du début de cette aventure-là ? Quand vous avez commencé à monter sur scène. As-tu des souvenirs marquants de moments où vous avez vraiment ancré votre histoire en vous ?
Je pense qu’on a une trajectoire qui est semblable à celle de plein de groupes. Pendant toutes les années où on a forgé ce premier disque, on ne faisait pas tant de concerts que ça.

En réalité dans les Yvelines à ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, mais ce n’était pas très rock’n’roll, on va dire. Ou alors on se retrouvait sur des plateaux et des scènes avec des groupes ultra énervés. On a joué avec Meshuggah, par exemple, ou avec d’autres trucs un peu décalés. 

J’ai énormément de souvenirs de toute cette période. Sentimentaux, même physiques, avec des mains en sang quand on est parti pour la première fois en tournée. On avait joué à Rennes d’ailleurs, au Transmusicales en 2003. C’était un de nos premiers véritables concerts dans des conditions vraiment optimales à l’Ubu. Mais je crois me souvenir que ce ne devait pas être un très bon concert. (Rire)

En sortant de scène, tu te dis toujours que c’était super, tu es content de toi. Mais en fait, on avait vite eu des retours bien contraires ce soir-là. Dans ces cas-là, c’est bien d’avoir des copains franc du collier, avec un esprit critique qui te disent : “C’était bien, mais ce n’était pas votre meilleur concert”. (Rire)

 

On faisait des grosses tournées à cette époque-là, je ne sais pas combien on a fait de dates dans l’année mais c’était énorme. Le monde de la musique a beaucoup changé, maintenant des tournées où tu fais 150 ou 200 concerts dans l’année ça ne se fait plus trop. Enfin pas dans le rock. Dans un sens tant mieux, on n’a plus vraiment l’âge. (Rire)

 

Mais oui des souvenirs il y en a plein les cartons, plein le cerveau. La première Cigale, c’est marqué au fer rouge dans mon esprit. C’est vraiment une des salles où j’ai vu plein de groupes, où j’ai ressenti des émotions de dingue. Alors de jouer dans cette salle-là, tu as l’impression d’avancer, tu sens l’intérêt du public qui est devant toi qui va danser sur ta musique, et le smile des gens tu le prend comme un cadeau. C’est un truc qu’on a retrouvé assez vite pendant toute ces années.

 

Justement chez vous il y a un côté explosif, avec une forme de colère, mais c’est toujours joyeux, avec des fans qui prennent soin les uns des autres !
Oui, C’est un trait de caractère et d’identité des concerts de Deportivo que j’ai retrouvé avec un plaisir immense. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit toujours le cas. Tout le monde a pris dix ans d’âge.

Dès notre retour on a retrouvé les grands sourires, le bordel joyeux, pas du tout agressif. C’est cool, ça veut dire qu’on était sur la bonne ligne. Le public qu’on a rencontré il y a quelques années nous suit toujours. On a fait une belle tournée avec de belles salles bien remplies. On fait un Trianon dans un mois qui est complet. C’est dingue…

 

Il y a aussi la nouvelle génération. Quand je vous ai vu en concert à l’UBU  et en Festival Schmoul (Bain de Bretagne), il y avait aussi un public plutôt jeunes, qui ne pouvaient pas vous avoir vu à l’époque. Il y a quelque chose qui se transmet ? 
C’est pas mal s’il y a aussi un peu de transmission.

Le rock en général n’est pas la musique du moment, en français encore moins. Pour autant, on a des salles qui sont vivantes et chaleureuses. On prend énormément de plaisir à jouer. Ce qui est quand même la base et notre carburant principal. 

 

On parlait à l’instant de la nouvelle génération côté public, mais il y a aussi la nouvelle génération sur scène. Est-ce que tu as eu un feeling particulier avec des nouveaux groupes de la scène rock française ?
On écoute toujours plein de choses, avec nos potes et tous nos techniciens, on s’échange beaucoup, même si on a tous des sensibilités un peu différentes, ils nous font découvrir plein de groupes c’est sûr.

La dernière vraie claque que j’ai prise, c’était les Psychotic Monks, que j’avais vus à Nantes, dans une petite salle La scène Michelet qui n’existe plus maintenant.

Je me souviens que j’étais en train de boire un coup avec un gars dans le patio, à un moment, j’entends le début du concert des Psychotic Monks et je lui dis : “Il est en train de se passer quelque chose dans la salle, on va monter voir”.

Et là j’ai pris vraiment une tarte incroyable. Je suis rentré chez moi en me disant que ça m’a donné envie de jouer. C’est marrant, parce que je suis beaucoup plus âgé qu’eux et ce n’est pas toujours les vieux qui donnent envie aux jeunes de former des groupes de rock. Là j’ai réalisé que ça fonctionnait aussi dans l’autre sens. Je les ai suivis depuis ce jour-là. J’achète leurs disques, je les écoute, je vais les voir. Ils ont en plus des démarches qui sont pertinentes et intéressantes. C’est mon dernier gros coup de cœur français. 

 

On va parler de la discographie si tu veux bien. Vous avez ressorti de nouveaux singles. Est-ce que ça présage l’envie de réécrire quelque chose, de partir sur un nouvel album ?
Comme je te le disais, Jérôme écrit. Que ce soit pour Deportivo ou pour d’autres projets. J’ai l’impression de l’avoir toujours connu en train d’écrire à des chansons.

On s’est remis dans une tournée là. Après, il faut se voir. Jérôme écrit, moi je joue. Dès qu’il a une chanson et qu’il a besoin d’avoir une batterie dessus on se met dans un studio sur des périodes un peu plus courtes qu’à l’époque. 

Après, c’est Jérôme la locomotive de tout ça, on fonctionne avec le rythme de ses compositions. Mais on n’est pas partis pour s’arrêter.



 Vous avez ressorti en plus le live du Bataclan en 2005, en vinyle.
Ça aussi, c’est un truc qui nous tenait à cœur. On en a des cartons entiers de live, de droite de gauche, mais celui-là, il était assez cool et puis là, on est vraiment sur les 20 ans de “Parmi Eux”. Notre nouvelle date au trianon, c’est jour pour jour la date de sortie de “Parmi Eux”. Ça aussi c’est vraiment super. On s’est dit, les étoiles sont alignées.
Et puis c’est cool aussi de sortir un album live, il y a des groupes qui sortent beaucoup de lives, nous, on ne l’avait encore jamais fait. On avait juste publié des lives en vidéos sur Youtube, mais pas sous forme de disque.

Là, c’est aussi une envie d’avoir un objet. Tout le monde n’a pas eu le temps de l’acheter, il ne va pas en rester beaucoup mais on va en avoir quelques-uns sur le merchandising.

Après, peut-être qu’on en refera d’autres. Mais là, c’était une sorte de petit plaisir qu’on faisait à tous ceux qui étaient là de longue date et un petit cadeau qu’on se fait aussi.(rire)



Il y a déjà eu de nouveaux titres “Révolution Benco” et “Perdu !” l’avenir est clairement devant vous à nouveau ?
Oui, c’est des morceaux qu’on ajoute au set au fur et à mesure. Et il y en a d’autres dans les tuyaux. On verra. Je ne peux pas te dire maintenant quelle allure ça prendra…

C’est une bonne nouvelle déjà de se dire qu’il y a des autres qui arrivent. Vous êtes aussi identifié comme un groupe de scène justement parce que vous avez énormément fait de concert ?
Oui, on a beaucoup tourné en effet et on a toujours pris beaucoup de plaisir à le faire. Quand tu commences à devoir en faire un petit peu moins, parce que la fatigue, la répétition, l’usure. Il y a malgré tout aussi une routine là-dedans, avec des côtés un petit peu plus sombres, on va dire, mais c’est un bon compliment, d’être considéré comme un groupe de scène. Avec un plaisir instantané, une espèce de récompense immédiate qui surpasse tout. Aussi parce qu’on a toujours mis tout ce qu’on avait là-dedans. Tu vois ce que je veux dire ?

Quand on monte sur scène, on vide les fûts. Et à la fin, il n’y a plus rien en réserve. On finit, on est rincé. On a perdu deux kilos de sueur chacun…
Même si je pense que Deportivo ce n’est pas que ça, il y a des chansons avec des textes qui voyagent bien dans le temps, qui ne vieillissent pas vraiment.
Mais oui la scène on a toujours aimé ça, on a toujours voulu se considérer comme ça, on a toujours aimé les groupes, qui sont des groupes de scène aussi.
Faire de la musique c’est un métier extraordinaire. 

 

Et pour vous avoir vu quelques fois il y a un échange, une vraie connexion presque instantanée avec le public de Deportivo !
Oui, il y a vraiment un feeling de fou entre l’énergie du public et la nôtre. Il y a une zone où tout se mélange. Et c’est là où c’est le plus agréable. 

 

Ce soir à Mythos ça devrait être à nouveau extraordinaire.
J’espère, on vient de pas mal bosser en répétition, après une petite pause de quelques mois. Du coup on a très hâte de retrouver, justement, cette petite zone de plaisir. Avec ce petit surplus d’énergie qu’on a accumulé ça devrait être encore plus intéressant ce soir.

Bon il faut se méfier de ça, parce que trop d’énergie, c’est pas bon non plus. Il faut juste y mettre la bonne dose. C’est l’expérience, j’allais dire l’âge, qui me fait dire ça mais c’est ça en fait. Avant, je pouvais monter sur scène et au bout de 3 morceaux, j’étais mort. (rire)

Tu vois le truc ! Parce que tu ne contrôles rien, tu y vas comme un chien fou. Là maintenant, on sait un petit peu plus où on va. Et puis avec la setlist devant toi tu sais qu’il faut en garder un petit peu pour la suite. Mais il faut continuer d’être généreux. Les gens le sont donc la moindre des choses, c’est de l’être aussi. 

Photo de couv. (c) CAROLYN CARO