[Interview]  Hélène Barbier – « Panorama » 

Quatre ans après Regulus, Hélène Barbier revient jouer la fille de l’air avec Panorama, un disque qui plein de douceur quotidienne, de fougue et de joie essentielle. Écrit par vagues successives sur trois années, façonné au rythme des jours, l’album trace un chemin délicat entre vulnérabilité et légèreté. On y retrouve cette belle signature mélodique qui respire à plein poumon le parfum du réel. Dans une sorte de poésie pop envoûtante aussi fraiche qu’instinctive elle s’entour d’une constellation de musiciennes et musiciens montréalais. En résulte un album à la fois profondément personnel et pourtant résolument collectif, porté par une intuition qui privilégie l’organique. 
À l’occasion de la sortie de Panorama, nous avons posé quelques questions à Hélène Barbier pour en savoir plus sur ce nouveau chapitre : son rapport renouvelé au quotidien, le sens de ces « cartes postales » musicales, la collaboration au long cours avec son entourage créatif et sa manière de naviguer entre deux langues, deux sensibilités. Conversation.

 

Quatre ans après l’excellent Regulus, tu reviens enfin avec un nouveau disque. Qu’est-ce qui a guidé ton écriture sur ce nouvel album ?
Héhé merci! Il y a eu un vrai changement dans mon quotidien et dans le petit monde des personnes qui m’entourent. Avec l’âge, j’ai gagné un peu de patience ou de sagesse, qui sait, et je suis devenue plus capable d’apprécier le quotidien et les choses simples. C’est ce regard-là qui a guidé beaucoup des nouvelles chansons.

Tu décris les chansons comme des sortes de « cartes postales ». Quels moments de vie ou quelles émotions t’ont le plus inspirée dans l’écriture de ces neuf chansons ?
C’est surtout une évolution intérieure, dans les grandes lignes, qui s’est amorcée après un diagnostic de santé. Ce n’est pas un album “sur” la maladie, pas du tout, mais ça a complètement déplacé ma façon de voir les choses, de m’inquiéter, ou de ne plus m’inquiéter. Ça a changé mon rapport aux émotions et au quotidien, et ça se reflète dans ces petites cartes postales. Il me semble aussi que c’est un disque joyeux avec deux petites chansons un peu plus intimes et mélancoliques, mais dans l’ensemble ce sont vraiment des cartes postales de vacances heureuses à la maison.

Panorama s’est construit sur une période de trois ans. Comment ce long processus a-t-il influencé l’atmosphère et la cohérence de l’album ?
Ce furent trois ans, mais pas en continu : j’ai un travail, mes musiciens aussi, et il y a des moments où la création n’est tout simplement pas là. Les chansons sont venues par vagues, quand elles voulaient bien arriver. Je pense que ce rythme irrégulier donne à l’album une atmosphère naturelle, presque organique, comme si les chansons avaient eu le temps de respirer entre elles et de ne pas se manger entre elles. C’était aussi dépendant des disponibilités du studio et des emplois du temps de chacun et chacune.

L’album navigue entre beauté ordinaire, poésie du quotidien et moments de vie. Comment trouves-tu l’équilibre entre vulnérabilité et légèreté dans tes compositions ?
Je suis trop pudique pour dire les “vraies” choses frontalement dans des chansons , mais tous mes amis savent que je partage souvent beaucoup trop d’informations sur moi dans la vie courante haha. J’aimerais être mystérieuse, mais je ne le suis absolument pas. Alors j’écris un peu comme je pense : ça passe d’une idée légère à une émotion plus fragile, toujours sans filtre. Et puis je n’ai pas envie de faire de grandes déclarations, je préfère que les paroles soient perçues comme si on me surprenait en train de penser.

Les influences de The Shaggs ou de Tom Verlaine se ressentent dans les textures et les guitares. Qu’as-tu voulu emprunter à ces artistes ?
Honnêtement, je n’ai rien cherché à emprunter consciemment. Ces comparaisons sont possibles après coup. C’est mon guitariste, Ben Lalonde, qui a fait cette analogie quand je lui demandais de m’aider à écrire une bio pour la presse. Il repère peut-être mieux que moi ce qui transparaît dans ma musique. Et puis je comprends pourquoi on fait le parallèle avec The Shaggs que j’adore, car j’ai appris à jouer toute seule mais je pense que c’est pas mal le seul point commun.

Panorama est terriblement contemporain et en même temps hors du temps. Qu’est-ce que cette intemporalité représente pour toi ?
C’est toujours un peu étrange de disséquer un disque que je n’ai pas construit de manière consciente, dans le sens où je n’avais pas d’intention précise de le faire ressembler à quelque chose. S’il y a une forme d’intemporalité, c’est peut-être simplement parce que je ne réfléchis jamais trop en termes de tendances. Je suis plutôt ce qui vient.

L’album est aussi un travail collectif avec de nombreux collaborateurs issus de la scène montréalaise. Qu’est-ce que chacun a apporté et comment as-tu orchestré cette collaboration ?
D’abord, il y a mon band, avec qui je joue en live (Joe Chamandy, Ben Lalonde, Claire Paquet, Samuel Gougoux), qui est très présent sur le disque. Et puis, pour certaines chansons, j’ai fait appel à des musiciennes et musiciens que j’aime beaucoup : Ada Lea, Meg Duffy, Olivier Demeaux, Wes McNeil, Mélanie Venditti. Même si, pour certains, la participation peut paraître limitée, je suis vraiment heureuse qu’ils et elles soient sur l’album. Leur présence compte. Tout s’est fait au fur et à mesure. L’enregistrement et le mix se sont étalés sur une longue période, ce qui m’a permis de choisir et décider tranquillement, de manière éclairée. Avec Ben Lalonde et Joe Chamandy, pour les guitares, c’est très simple : je leur fais entièrement confiance. Souvent, je leur montre juste une ligne de basse et une voix, et ils me proposent des idées. Je ne suis jamais déçue. C’est extrêmement rare que je leur demande d’essayer autre chose.Et puis il y a Emmanuel Éthier, qui a enregistré l’album. Il est aussi multi-instrumentiste. Quand je lui ai dit que j’aimerais un petit morceau” d’orchestre de violons, il s’est proposé spontanément, et il a enregistré plusieurs fois la même piste pour créer l’impression d’un ensemble à lui tout seul. Pour la chanson Marcel par exemple, Thomas Molander qui jouait dans le band jusqu’à récemment m’a envoyé un drumbeat et j’ai ajouté la basse, guitare et voix après, c’était vraiment une belle surprise et ensuite j’ai demandé à Meg Duffy que je considère comme un guitar hero s’il voulait bien jouer un petit solo épique pour que cette petite chanson bancale gagne en puissance en quelque sorte et qu’on ne vienne pas me dire que c’est lo-fi ou foutraque, c’est du Rock.

Tu chantes en français et en anglais. Comment décides-tu dans quelle langue une chanson doit exister ?
Souvent, c’est le rythme des mots qui décide pour moi. Parfois aussi c’est une question de distance : l’anglais me permet d’être un peu plus abstraite, un peu plus floue, tandis que le français m’oblige à être plus précise. Les sons des mots aussi l’emportent, Lapin se prêtait mieux que rabbit pour ma chanson par exemple.

Entre ta musique et ton implication dans le label Celluloid Lunch, comment arrives-tu à concilier création personnelle et soutien à la scène indépendante montréalaise ?
Mon implication avec Celluloid Lunch est plus ponctuelle, selon les projets et le temps que j’ai. Je viens aussi de passer à un horaire de travail à mi-temps pour consacrer plus d’énergie à ma musique, car depuis que Panorama est fini je n’ai pas vraiment assez de temps pour me consacrer à la création et j’ai hâte aux vacances de Noël pour avoir ce temps!

Photo de couv. Dominic Berthiaume