Après une tournée d’hivers réussie et une Cigale parisienne à guichets fermés, Gringe débute les festival d’été à Grossœuvre, dans l’Eure. Croisé au bar VIP, il a gentiment accepté de répondre à nos questions avec une rare sincérité. Tutoiement naturel et obligé.
Gringe, tu viens de sortir un nouvel album, ton deuxième en solo ?
Cela fait un moment qu’il est sorti déjà (Ndr : le 24 septembre 2024) ! C’est mon deuxième album solo. Il s’appelle « Hypersensible ». Ce soir, on transpose ce très bel album pour en faire un truc scénique. DJ Pone m’accompagne. C’est un vrai band, avec un clavier, un batteur, une choriste et mon backeur Sydney. C’est une histoire de famille qui continue, notre premier festival de l’été. On ouvre avec CSALP à Grossœuvre !
Pourquoi avoir accepté de jouer dans ce festival atypique, différent des autres festivals car gratuit ?
On le fait parce que c’est la Normandie. J’ai une attache avec la région et on bosse en bonne entente avec notre tourneur W Spectacle. Quand il nous propose des choses, on regarde à quoi cela ressemble. Le fait que je me sente un peu chez moi, même si c’est la Haute-Normandie et que je connais surtout la Basse. Je suis un Normand d’adoption. On a hâte de voir ce que l’on vaut sur une scène. C’est une première.
En juillet, vous serez de retour en Normandie, à Caen cette fois. Beauregard, cela va être une autre dimension ?
Oui mais c’est pareil. C’est toujours les proches qui viennent, la famille, les copains. Orel (Ndr : le rappeur Orelsan), je l’espère, viendra nous faire un coucou. Voilà quoi…
Émancipé d’Orelsan
Justement Orelsan, c’est un peu grâce à lui que tu es devenu celui que tu es aujourd’hui ?
Non, je ne dirais pas ça. Nous avons eu, pendant plus de 10 ans, un groupe où j’ai été très suiveur. Il y a eu Les Casseurs Flowters pendant 5 ans. Après, je me suis un peu émancipé. Il y a eu deux albums, un bouquin avec mon petit frère, du cinéma aussi. Orel a été un tremplin, mais depuis j’ai bien évolué.
Tu fais des choses différentes de ce que fait Orelsan ?
Complètement. On raconte nos histoires en étant très intimes. Lui à sa manière et moi à la mienne.
Ton histoire, c’est quoi ? On pensait l’avoir bien comprise dans le film « Comment c’est loin » …
C’est d’avoir embrassé une carrière artistique. Je ne fais que cela, je n’aime faire que cela. Je suis un enfant de la balle. Mes parents faisaient du théâtre à Cergy, en banlieue parisienne. Mais j’ai vécu 15 ans en Normandie.
« Un côté ego trip et rap urgent »
Le rap est devenu la musique numéro 1 en France. Peux-tu définir quel genre de rap tu fais ?
Introspectif, universel et touchant à l’intime. Je zoome de l’un à l’autre en permanence. Sur l’album « Hypersensible », j’aborde des idées politiques mais il est aussi des choses introspectives très personnelles sur des histoires de famille. Et cela parle de santé mentale.
Cet univers te touche par rapport à ton frère ?
Oui, j’ai sorti un livre, « Ensemble on avance », sur sa schizophrénie. Et j’injecte aussi toujours tout ce que j’ai connu avec les Casseurs Flowters. Il y a un côté ego trip et rap urgent à la Beastie Boys. Cela vient de cette école Casseurs Flowters.
En quoi ton album, tes concerts, sont politiques ?
Il suffit de venir voir pour comprendre. On ouvre le concert avec un morceau qui s’appelle « Du plomb ». Ce morceau est un dytique en deux parties, qui vient avec une suite qui s’appelle « Effet de surplomb », le mal de mer des cosmonautes. Je prends un peu de hauteur sur nos conditions d’humains, sur la mienne, et je dézoome au maximum pour rendre compte de l’absurdité de ce que l’on vit parfois.
« Du plomb » parle d’un fait-divers dramatique, la mort de Naël ?
Son écriture est effectivement née juste après la mort du petit Naël. Il s’est fait fumer par un flic à Paris. Ce morceau parle du climat social et politique en France à partir de la mort de Naël. Nous sommes devenus du charbon pour la locomotive. Je le fais en zoomant sur une bavure policière, mais je parle des bavures en général. Je parle aussi des Gilets jaunes, des migrants. Je fais des rappels.
Le policier accusé de la mort de Nael sera jugé pour meurtre…
Je ne savais pas. Ce que je sais, par contre, c’est qu’une cagnotte Leetchi est montée pour lui. Plus d’un million d’euros ont été récoltés ! Je le dis dans un morceau : « Faf et millionnaire grâce à une cagnotte Leetchi, c’est bien manger en faisant le régime de Vichy ». Ce que je fais est aussi politique, parce que, de temps en temps, j’injecte des mots qui ont du sens. C’est un peu un puzzle.
« Jul, ce n’est pas ma came »
Comment te situes-tu par rapport au rap actuel ?
Je ne pourrais pas être un bon critique ou donner un avis très objectif car je n’en écoute pas, ou peu. Les plus jeunes de l’équipe ont 25, 30 ans et écoutent beaucoup de rap français. Je sais ce qui se fait, Jul par exemple, je comprends l’engouement populaire autour de sa musique mais ce n’est pas ma came. J’écoute plein de trucs, de la chanson française. En ce moment, Bashung, par exemple. J’écoute beaucoup de musique, excepté du rap. Je reviens aux fondamentaux de cette musique avec les groupes américains qui m’ont bercé quand j’étais jeune, les Beastie Boys par exemple. Le rap français reste une musique jeune. J’ai 40 piges…
Pourtant ton show semble quand même bien ancré dans l’époque actuelle ?
Je ne sais pas si on peut considérer mon concert comme du rap sur scène. C’est musical. Il y a de l’électro car le jeune Cédric qui a produit l’album est un touche-à-tout multi-instrumentiste. Il s’inspire de plein de choses. Sur « Effet de surplomb », il y a des influences sud-africaines, beaucoup d’électro, du rap. On mélange un peu tout ça. On est un band sur scène pour rendre tout ça hyper musical et sortir du truc rap car c’est mon mode d’expression. Moi, je chante un tout petit peu, mais Vinnie, qui est avec moi sur scène, chante beaucoup mieux que moi.
Une dernière question qui remonte de nulle part. Orelsan a été honni avec son morceau « Sale pute » bien avant #MeToo. Avec le recul, que penses-tu de tout cela ?
Je ne répondrai pas là-dessus car c’était il y a plus de dix ans, mais Orelsan a gagné tous ses procès.
Textes et Photos Patrick Auffret
































