[interview] Frànçois & The Atlas Mountains – « ÂGE FLEUVE »

Depuis ses premiers pas avec « Frànçois & the Atlas Mountains », l’auteur-compositeur-interprète François Marry a sculpté une discographie où la douceur pop rencontre les éclats rock teintés d’électro. De « Plaine Inondable » à « Banane Bleue », en passant par « E Volo Love » et l’incontournable « Piano Ombre », chaque album est une exploration intime, un fragment d’univers où cohabitent lumière et mélancolie. Parallèlement, il a multiplié les expériences, du post-punk nerveux de « Park » sans oublier ses multiples collaborations avec Daho, Françoiz Breut, Cabane, le collectif Marcel Duchamp Orchestre Tout Puissant et bien d’autres. Son nouvel album, son grand retour, « ÂGE FLEUVE », s’inscrit dans ce courant, porté par les méandres du deuil et le besoin de renaissance qu’il engendre. Entre souvenir et renouveau, entre ombre et lumière, chaque note semble transmettre une pulsation vibrante, un écho d’âmes colorées, passant par le prisme d’une présence sensorielle mystique, aussi nouvelle que nécessaire. Une nouvelle étape d’une douceur fluide et au timbre éperdument délicat.
À travers cet entretien, François nous ouvre les portes de son processus créatif, où la musique se fait remède, explorant une quête de sens. Il y évoque les métamorphoses intérieures, la mémoire, l’héritage, les rencontres qui nourrissent l’album et la scène comme un lieu d’échange vital. Dans cet espace suspendu entre passé et futur, « ÂGE FLEUVE » devient une traversée sensible, un voyage sonore qui s’écoule, libre et indomptable.

Vous venez de sortir votre nouvel album « ÂGE FLEUVE ». Quel en a été le fil conducteur ?
Je fais de la musique continuellement, sans déclencheur précis. Mais cet album s’inscrit dans une période marquée par un deuil et des changements au sein du groupe. Cela m’a permis de revisiter ma façon de créer, avec un regard renouvelé sur le passé et l’avenir. Ce processus a été influencé par une introspection profonde, nourrie par l’expérience du manque et la nécessité d’avancer.

Ce deuil a-t-il changé d’une certain façon votre perception de la vie et de la musique ?
Oui, cela m’a fait prendre conscience que l’essentiel réside dans nos relations aux autres. On comprend parfois mieux une personne après sa disparition, comme si son absence révélait des aspects que l’on ne percevait pas pleinement auparavant. C’est un processus à la fois douloureux et enrichissant, qui pousse à une profonde remise en question et à une redéfinition de soi, en dépassant une forme d’habitude, de familiarité qu’on a avec ses proches. En musique, cela s’est traduit par une approche plus instinctive, avec une volonté de capturer l’émotion brute.


La question du deuil s’ancre dans une forme de rite mélancolique. Il y a des instants de spleen, mais il y a aussi de la force et de joie dans vos nouvelles chansons. Est-ce une manière de prolonger un lien avec la personne disparue ?
J’ai toujours eu un rapport particulier à la mélancolie qui n’a pas besoin d’événements aussi forts pour venir m’envahir. Ces moments-là m’amènent plutôt ailleurs et renforcent en moi une urgence de vivre pleinement en donnant la priorité à l’essentiel. Ce n’est pas tant la mélancolie, je pense, qui se ressent. C’est peut-être la toile de fond de ce que j’ai pu créer jusqu’à maintenant. Quand on perd quelqu’un, c’est aussi un rappel de notre propre finalité. Ici, se mêle à une énergie de renouveau et de transmission. La musique permet d’ancrer ces souvenirs dans une continuité, en les transformant en quelque chose de vivant.

Est-ce que pour vous, ça a été plus difficile d’aborder certains titres ou tout est venu d’une façon assez fluide ? 
Ca a été très très long. mais il a fallu quatre ans pour trouver sa forme définitive. Différentes versions ont été explorées, avec des musiciens et des musiciennes différentes. J’ai eu besoin de temps pour assembler les bonnes pièces et trouver une cohérence à ce projet. Je me suis un peu trimballé ou fait trimballer par la vie, de droite à gauche, avant de pouvoir trouver le contexte dans lequel finaliser tout ça. Contexte qui a été aussi aidé, facilité par le nouveau label avec lequel je travaille, Infiné. Ca a été une étape décisive, apportant un cadre propice à la finalisation de l’album. La construction d’un album ça prend du temps et ça demande aussi des ressources. Ces ressources, on les trouve dans nous-mêmes bien sûr, on les retrouve, comme je disais tout à l’heure, aussi dans les autres.

Vous avez collaboré avec plusieurs artistes, Malik Djoudi, Rozi Plain, Thomas de Pourquery. Comment ces rencontres ont-elles influencé l’album ?
Je pense que le terme ressource est vraiment approprié. Ce sont des artistes qui m’inspirent, avec qui je sens une sorte de solidarité dans la façon dont on appréhende l’art, et puis aussi le type de musique que l’on fait dans le monde dans lequel on vit. Ces collaborations sont une richesse immense. Je connais certains depuis plus de dix ans, comme Rozi Plain. Il était évident pour moi de travailler avec eux, car ils ont une pertinence qui me touche beaucoup. L’album, étant le résultat d’un processus étendu sur plusieurs années, reflète aussi cette fidélité et cette évolution commune. Malik Djoudi, par exemple, a apporté une couleur particulière sur « Jeunes versants ». 

Il y a des similitudes, c’est une évidence, mais il y a aussi un échange qui se met en place. Est-ce que c’est quelque chose qui résonne dans ce que vous vouliez obtenir ?
C’est-à-dire que j’ai toujours choisi de faire de la musique par rapport à d’autres formes d’expression pour être vraiment dans un enrichissement et un palliatif à la solitude. Et je pense que de travailler avec les autres, ça universalise le propos, ça rend les choses plus évidentes. La musique est un dialogue.
Le live, notamment, est une expérience irremplaçable. C’est dans cet échange direct avec le public et les musiciens que la musique prend tout son sens. Elle devient un vecteur d’émotion partagée, une expérience collective. Ça crée ce contact que l’on recherche.

 

Votre style a une dimension mystique. Est-ce intentionnel ?
Je ressens cet aspect, mais sans vouloir l’afficher ouvertement. Il s’agit plutôt d’une manière d’être réceptif à ce qui nous entoure, de laisser place aux sensations et aux rencontres. La musique a cette capacité à toucher une part profonde en nous, qui peut sembler mystique sans pour autant être intentionnellement conçue comme telle.

Votre parcours artistique multiple renforce-t-il encore cette vision des choses?
Oui, chaque forme d’expression ouvre des perspectives différentes et permet de toucher des sensibilités variées. Cela enrichit ma manière de composer et d’appréhender l’art. Peindre, écrire ou même observer d’autres formes artistique me permet de voir la musique sous un autre angle. C’est un processus global, où toutes ces disciplines se nourrissent mutuellement.

 

Vous repartez en tournée avec un nouveau groupe. Qu’attendez-vous de cette expérience ?
Le live est essentiel pour moi. Il permet un échange direct avec le public et les musiciens. Nous allons explorer une nouvelle dynamique en trio, avec Laure Sanchez à la basse et Colin Russeil à la batterie. C’est excitant de créer un son collectif et de redécouvrir les morceaux sous un nouveau jour. Le live permet d’expérimenter, d’improviser et d’élargir la portée des morceaux.

Je vous avais vu la première fois, au Festival des Trois Éléphants (2014), il y a quelques années déjà, et dernièrement, sur la scène Art Rock (2024). Est-ce votre expérience de la scène, de vos débuts et maintenant, a changé votre perception de ce que devait être un concert ?
Oui forcément. J’ai été dernièrement très influencé par la musique Gnawa, qui valorise la simplicité et la profondeur. Aujourd’hui, je cherche à créer un espace musical sincère sans surcharger pour autant d’intentions. Parfois, il suffit d’être là, de jouer et de laisser la musique parler d’elle-même.

Quel regard portez-vous sur l’industrie musicale actuelle ?
Il y a des inquiétudes, notamment sur l’impact des réseaux sociaux et la politique culturelle. Il faut trouver des moyens de préserver les échanges humains et la spontanéité dans la création. Je pense que l’avenir de la musique passe par des formes plus locales et sincères de diffusion.

 

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Frànçois & The Atlas Mountains en tournée dès le 28 février et le 25 novembre au Trianon de Paris

Photo de couv. Marco Dos Santos