[Interview] Émilie Marsh – « Amour Bandit »

Émilie Marsh revient avec Amour Bandit, un album puissant, traversé par les émotions les plus intimes : le deuil et l’amour fou. Un disque né dans l’urgence, porté par une écriture plus directe, plus frontale, où chaque mot sonne vrai, sonne fort. Autrice, compositrice, guitariste et productrice, Émilie Marsh trace depuis des années son chemin entre ses projets personnels et ses collaborations avec des artistes majeurs de la scène française, sans jamais oublier le sens du cœur, bondissant et épanouissant. Dans cet entretien, elle se confie sur la genèse de ce troisième album, son parcours, son indépendance, son rapport à la sensualité, à la scène et à sa guitare, bien sûr.

 

Tu viens de sortir Amour Bandit, ton 3e album, le 21 mars. Est-ce que tu peux nous raconter ce qui t’a poussée à te lancer dans ce disque ?
Ce n’était pas du tout prévu. J’étais en tournée avec Gilles Caplan et je terminais l’album de Dany. Puis, en plein été 2022, Dany est partie brutalement. Je travaillais avec elle depuis sept ans… Ça a été un immense deuil. Et, à quelques semaines d’intervalle, j’ai rencontré l’amour fou. Deux émotions très intenses, très opposées, qui ont généré toutes les chansons du disque. J’ai commencé à écrire en août. C’était vital, je ne pouvais pas faire autrement. Le disque s’ouvre d’ailleurs avec “Été 22”, en référence à cette période.

 

Tu termines justement cet album avec un morceau en hommage à Dany ?
Oui. Il y a plusieurs chansons qui lui font référence : “Été 22”, “La Nuit” et “Dany Song” qui lui est directement adressée. C’est la plus intime.

Tu disais que cet album est né d’un événement fort, inattendu. Est-ce que ça t’a permis de te libérer d’une énergie créative enfouie ?
Je pense que oui. Je n’avais pas prévu d’écrire, je ne savais même pas sur quoi écrire à ce moment-là. C’est vraiment ce double événement – le deuil et l’amour – qui m’a poussée à le faire. C’est ma manière d’exprimer les choses, et là, je devais absolument raconter cette histoire.

 Il y a beaucoup d’émotions dans cet album, une vraie palette dans l’écriture. C’est un style que tu travailles depuis longtemps ?
Il y a peut-être une palette, mais je trouve surtout qu’il y a une unité. Ce qui change par rapport à mes albums précédents, c’est la façon plus frontale de dire les choses. Moins de détours, moins d’images poétiques. J’ai coécrit quatre textes avec Hélène Charvet, qui m’a aidée à aller droit au but. Chaque mot, chaque image dans cet album est vraie. C’est du vécu, transformé en chanson, mais c’est 100 % authentique.

 

On sent une vraie force dans cet album.
C’est ce qu’on me dit depuis sa sortie. L’impact émotionnel des textes touche les gens, et ça me touche énormément. Je suis mélodiste à la base, mais là, ce sont les mots qu’on entend le plus. C’est beau à recevoir.


En parallèle de ta carrière solo, tu accompagnes aussi d’autres artistes. C’est difficile de jongler entre ces rôles ?
J’ai toujours mené les deux en parallèle. J’adore accompagner les autres, composer, écrire pour eux. Mais cet album, c’était plus intime. Ça m’a recentrée. Un moment marquant dans mon parcours.

 
Tu as aussi collaboré avec Edith Fambuena. Qu’est-ce qu’elle a apporté à l’album ?
Beaucoup. Après le décès de Dany, j’avais ses maquettes sur les bras. Je ne pouvais pas finir son album seule. Étienne Daho m’a appelée et m’a proposé de le faire avec Edith. C’est comme ça qu’on s’est vraiment rencontrées. On a d’abord terminé Attention de départ ensemble, puis très naturellement, on a travaillé sur mon album. Edith a gardé l’âme de mes maquettes et a sublimé le son. Elle a affirmé les rythmiques, ajouté des guitares, tout en respectant l’essence du projet. Le son final lui doit beaucoup.

 

Depuis La Rime d’Orpheline, on sent un vrai chemin. Tu le ressens comme une affirmation de toi, artistiquement et humainement ?
Pour moi, La Rime d’Orpheline n’est pas vraiment mon premier album. Le vrai départ, c’est celui de 2019. Mais oui, le chemin est long. Aujourd’hui, je suis plus électrique, plus épurée. J’ai gagné en audace. Avant, je mettais un filtre sur mes mots. Là, j’ose plus. Je me rapproche de la personne que je suis sur scène, avec ce côté fougueux.

 Il y a en toi une envie d’exprimer les choses de façon intense, non ?
Oui, y compris dans la sensualité. J’aborde le rapport au corps, au désir, au sexe dans des titres comme “Jamais vu” ou “Draguer le dragon”. Avant, je n’osais pas. C’est une liberté nouvelle. Je ne suis plus dans la peur du regard ou du jugement. C’est volontairement affirmé.

 

Tu es aussi cofondatrice du label Fraca. Quel rôle a-t-il joué dans ton parcours ?
Fraca, c’est très important. On a fondé quelque chose d’alternatif, féministe, indépendant. Mon troisième album sort chez Atome, avec l’accord de mes camarades, pour me libérer de la production. Mais je reste dans Fraca, à fond. Ce label m’a aidée à m’affirmer.

 Être indépendante, c’est essentiel aujourd’hui ?
Oui, et même si ce n’était pas un choix au départ, c’est devenu une vraie force. J’ai appris les rouages, je suis connectée au réel, à l’humain. C’est une culture, une énergie, celle de créer plutôt que d’attendre.


Tu as une fanbase fidèle, très investie. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
C’est précieux. Ils me suivent souvent depuis longtemps. Comme je n’ai jamais été surmédiatisée, c’est un vrai public, qui m’a découverte en concert, en première partie… J’essaie de garder ce lien, de répondre aux messages. Ce sont eux qui font vivre la musique. Ce n’est pas une question de chiffres, de followers, c’est une question de rapport humain.

Tu reprends la scène, notamment le 3 avril à l’Étoile. C’est un moment fort pour faire vivre tes chansons ?
Oui, je suis super fière du show. Il est encore plus électrique que l’album. J’ai enfin une batterie sur scène – un rêve ! – et je joue avec deux musiciens que j’adore. Faire ces chansons devant les gens, c’est une autre intensité. Je sens une vraie différence avec mes anciens concerts.

 Et si tu ne devais retenir qu’une seule chose de cet album, laquelle serait-elle ?
J’ai gravé quelque chose de très personnel : une histoire d’amour, et celle avec Dany. C’est un double hommage. Le message est passé, c’est ce que je voulais. C’est le disque le plus important que j’ai fait.

Puisqu’on parle de choix Cornélien. Si un jour on te disait que tu devais arrêter la guitare, quelle serait ta réponse ?
(Rires) Je mets un coup de boule à la personne qui me dit ça. Jamais. C’est une partie de moi. M’enlever la guitare, c’est comme m’enlever un bras.

 

 Photo de couv. Cécile Erhard