Plongé au cœur d’une pop à la fois aérienne et profondément minérale, Jean-Baptiste Degermann y déploie avec « Hier sera doux » une palette d’émotions mouvante, entre plaisir et mémoire, entre théâtralité et rêve musical. Après un parcours singulier, comédien sur les planches et à l’écran, puis auteur tardif de chansons, l’artiste livre un premier album à la texture sensuelle, éclairée par des synthés brumeux, des guitares délicates et une voix qui cherche à rencontrer l’autre à travers l’écho de ses mots langoureux. Chemin de l’intime, détour heureux, ce disque « Hier sera doux » se présente comme un terrain de jeu où ses chansons deviennent l’incarnation d’un désir chantant.
Cette rencontre, ci-dessous, offre une belle occasion de découvrir Degermann parler de ses références, de son amour pour la chanson française, de la synth-pop, de la poésie, de la danse, et de la façon dont il a façonné cet univers sonore où le corps et l’esprit entre en mouvement simultanément.
Entrez dans ce voyage, écoutez-le, et laissez-vous surprendre.
Ton parcours est atypique : de l’entreprise au théâtre puis à la musique. Qu’est-ce qui a été le déclic pour franchir le pas et écrire tes premières chansons ?
Clairement, passer par le théâtre a été un déclencheur. L’école de théâtre c’est aussi un lieu où l’on se découvre en tant qu’artiste, où on explore sa sensibilité, où l’on teste ses limites… Jusque là j’étais trop intimidé ou pudique pour oser écrire des chansons, encore plus pour les présenter à un public.
Par ailleurs, théâtre et musique se nourrissent beaucoup artistiquement. Dans les deux cas, il y a l’idée d’interpréter un texte, de le passer au public. Le théâtre m’a évidemment beaucoup aidé pour les concerts.
Tu revendiques une double filiation, entre la pop synthétique française et le folk-rock indé anglo-saxon. Comment trouves-tu l’équilibre entre ces deux univers ?
Ça s’est fait très naturellement. Je n’enregistre pas avec l’idée de coller à telle ou telle étiquette, de rentrer dans une case. Ces deux influences correspondent à ce que j’écoute le plus en tant qu’auditeur, donc il était naturel qu’elles reviennent de façon consciente ou inconsciente dans la DA du disque. L’équilibre varie selon les chansons, certaines sont plus pop comme Corps idéal, d’autres sont davantage menées par les guitares… Au global, le disque navigue assez librement entre ces deux univers, et ça me plait bien !
Dans ton nouvel album Hier sera doux, tu as travaillé main dans la main avec Simon Blévis. Qu’est-ce que cette collaboration a changé dans ta manière de composer et d’arranger tes morceaux ?
C’est la première fois que je m’investissais autant dans le processus de production. On a tout fait à deux, dans son home studio. On a travaillé de façon vraiment très spontanée, en prenant les morceaux les uns après les autres, à partir des démos guitare-voix, et en se demandant à chaque fois : on fait quoi ? Et on essayait ! D’abord un beat, un son de clavier, de synthé ou de guitare qui allait donner sa couleur au morceau. Quasi systématiquement, dès qu’on trouvait quelque chose, on gardait et on construisait par dessus. C’est comme ça que le disque navigue librement entre différentes ambiances : tout s’est fait de façon très instinctive. J’ai adoré cette manière de travailler, on est dans la recherche, ça laisse la place à des trouvailles inattendues, des « accidents » heureux…
Tu sembles attacher une grande importance aux textures sonores, basses, synthés, orgues, guitares. Comment construis-tu une chanson : à partir du texte, de la mélodie, ou plutôt d’un paysage sonore ?
En général, je trouve d’abord la compo : les accords à la guitare, puis la mélodie du chant. Ensuite j’essaie de mettre des mots. Parfois je sais déjà ce que j’ai envie de raconter, parfois pas du tout. Alors je cherche à faire sonner des mots, en me laissant guider par leur musicalité… et je tire le fil. Plus rarement j’adapte un texte existant, comme Corps idéal, un poème de Paul Eluard, ou Japan Airlines, écrite par mon ami Jean Aubertin, qui m’avait déjà écrit Les hindous et Abel. Dans tous les cas, le paysage sonore n’arrive qu’après, au moment de l’enregistrement. Toutes mes chansons existent d’abord en version guitare voix ! D’où l’ADN inévitablement assez folk.
Tes textes voyagent à travers les souvenirs et les lieux, Berlin, Barcelone, Hong Kong, le Japon fantasmé. Qu’est-ce que ces voyages intérieurs et réels représentent pour toi dans ton écriture ?
C’est la matière première de mon écriture. Ils donnent à voir un peu de mon paysage intérieur, de ma sensibilité. J’essaie de les traduire pas non pas sous forme d’histoires complètement ficelées, mais plutôt de vignettes, d’aperçus, d’impressions. Pour laisser une place aussi à l’imaginaire de l’auditeur, qu’il puisse lui-même s’y projeter.
Les nouvelles chansons que j’écris depuis un an sont moins tournées vers l’intérieur, parlent davantage du monde extérieur, avec une dimension plus politique pour certaines. L’évolution du monde fait qu’il est de plus en plus difficile d’en faire abstraction… On verra le résultat sur le prochain disque.
L’album semble plus personnel, presque cinématographique, avec des thèmes comme la séparation, l’enfance, la fête ou la solitude. Quelle chanson a été la plus difficile à écrire, et pourquoi ?
La dernière, qui est la plus personnelle. C’est celle où je me cache le moins, on va dire. C’est aussi la plus ancienne du disque, elle doit remonter à 2019.
Ton travail vocal a beaucoup évolué, avec des harmonies et des doublages. Quelle place occupe la voix dans ton processus créatif, entre fragilité folk et ampleur pop ?
C’est un aspect du disque dont je suis très heureux. Simon a été très fort là-dessus, pour écrire des harmonies qui complètent les mélodies vocales. Je trouve qu’il y a un bon équilibre entre l’ADN chanson, avec une voix quand même assumée et en avant, des effets pop avec les backs, les harmonies…
Même si, sur scène, j’aime retrouver le côté vocal brut des compositions à leur état initial. C’est aussi comme ça qu’on peut transmettre l’émotion de la chanson au spectateur.
Comment as-tu vécu la transition entre tes premiers EP plus intimistes et ce premier album, qui semble être une affirmation artistique plus large et plus moderne ?
Ça s’est fait naturellement là aussi. Sur mon deuxième EP (Comme un géant) et le double single qui a suivi, mon producteur Alexandre Rémoué avait déjà trouvé des sonorités plus pop. L’album est dans la continuité de ce travail, en poussant le curseur plus loin notamment avec les batteries samplées, qui donnent immédiatement une couleur plus synthétique aux chansons.
Tes chansons ont déjà trouvé un écho sur FIP et d’autres radios. Quel rapport entretiens-tu avec la scène et le public par rapport au travail en studio ?
La scène c’est quand même un vrai moment d’adrénaline, de vérité. C’est pareil au théâtre. On se lance, et il arrive qu’on soit « dans la zone », qu’on s’abandonne complètement à l’interprétation de la chanson, sans se regarder faire, en osmose avec le groupe. C’est un sentiment indescriptible. Par ailleurs, le live est aussi une façon pour moi de donner une nouvelle couleur à certaines chansons, voire de les réinventer. Avec ma formation actuelle (à 4, basse-batterie-guitare-
« Hier sera doux » est présenté comme une sorte de « testament provisoire ». Qu’aimerais-tu que les auditeurs retiennent en priorité de ce disque ?
Il n’y a pas de message dans ce disque, j’y partage juste mon humble petit monde intérieur. C’est l’aboutissement de toute une première phase de mon parcours artistique, depuis mon entrée en école de théâtre jusqu’à aujourd’hui, où je me sens enfin pleinement, légitimement artiste. Toutes ces chansons, je les ai d’abord écrites et enregistrées pour moi. Chacune est comme une sorte de doudou, je les aime toutes d’amour, elles me touchent parce qu’elles portent un regard doux et bienveillant sur le jeune adulte que j’ai été – celui qu’on voit sur la pochette, à 20 ans, encore insouciant. Elles me reconnectent à moi-même. Et ça me fait du bien.



