[Interview] DANIEL JEA – « Se taire et écouter »

« Se taire et écouter », 5ème album de Daniel JEA. Contemplatif ? sûrement pas. Revendicatif ? Sans aucun doute. Abrasif ? forcément ! Rencontre touchante d’un constat tristement réaliste, de textes cinglants et des mélodies rageuses, le tout souligné par une section rythmique hautement rock.
Il y a des disques comme celui-là qu’on aime sans vraiment savoir pourquoi, des disques qui s’imposent à nous comme une évidence, alors on se laisse happer par le rythme, on écoute et on comprend en grinçant un peu des dents. Ce 3ème volet de la trilogie d’albums, après « A l’instinct à l’instant  » et « En suspens » me séduit par cet esprit ardent, terriblement  libre, par cette rage qui tient lieu de fil rouge aux compositions et par cette interdiction de succomber au désabusement qui nous rendrait impassibles aux douleurs du monde. Daniel à chaque chanson tape un peu plus fort sur le sens de la vie, sur la passion qui fait mal, mais derrière bien sûr il y a une fenêtre ouverte à l’espoir et on a encore envie d’y croire alors on remet le disque en regardant le ciel pour savoir d’où vient le vent qui chassera l’orage.
Quelques jours avant son concert au Point Ephémère (10/06/2023) Daniel a répondu à nos questions.

Bonjour Daniel, peux-tu nous parler de toi et de ce qui t’a amené à la musique ?
Je suis musicien, auteur-compositeur, guitariste chanteur, de rock en français. Je joue en groupe, en trio avec deux musiciennes, France Cartigny et Émilie Rambaud, et j’ai sorti un nouvel album en novembre 2022, qui s’appelle « SE TAIRE ET ÉCOUTER ». Par ailleurs depuis des années, je suis guitariste sideman & accompagnateur pour divers artistes de la scène française, chanson/rock/pop/électro.

J’ai commencé la guitare enfant, à l’âge de 9 ans, à cause, ou plutôt grâce à ma mère qui voulait que quelqu’un de la famille s’essaye à la musique (je ne viens pas du tout d’une famille de musiciens, mais d’une famille de profs !). Très vite je me suis pris de passion pour cet instrument et dès l’adolescence tout particulièrement pour la guitare électrique et pour le rock. C’est devenu complètement obsessionnel et ça ne m’a pas lâché depuis !  

 

Toi qui a accompagné des artistes prestigieux (etc..) avec plus de 20 ans d’expérience, quelle vision as-tu de la chanson actuelle en France ?
J’ai travaillé avec de nombreux artistes assez variés, même si la plupart dans ce même registre dit « des musiques actuelles » , c-à-d plutôt chanson/pop/rock/électro, et sur toutes ces années j’ai vu et vécu en live ce chamboulement qu’a été la crise de l’industrie du disque avec l’arrivée d’internet. La manière de consommer la musique a considérablement changé, pour ne pas dire totalement, ce fût un réel effondrement d’un mode de fonctionnement vers un autre. Et ça a évidemment eu un impact sur la manière de pratiquer la musique et de la produire. Sans parler des modes et tendances qui ont bien évidemment beaucoup évolué aussi. J’ai pu trouver tout ça parfois très violent, tumultueux, rude, difficile à appréhender aussi, mais toujours terriblement passionnant. Concernant la chanson actuelle en France, je dirai que ce qui domine tout reste quand même le rap. Ce style de musique est omniprésent, je trouve que c’est maintenant devenu « la variété » comme celle de la génération de nos parents ! Il y a d’ailleurs pas mal de choses que j’adore. J’écoute beaucoup de différents styles musicaux, mais je reste malgré tout passionné par le rock. J’essaye toujours de suivre l’actualité musicale, de me tenir au courant de tout ce qui sort, quel que soit le genre, même je suis quand même principalement imprégné, habité par le rock, au sens large ! Je trouve même parfois que ce style est devenu maintenant quasiment « une niche musicale », comme le Jazz l’était devenu en son temps. C’est assez drôle, le rock est finalement en quelque sorte totalement passé de mode !

 

Dans tes chansons beaucoup de choses se croisent : rock, chanson, poésie, le tout dans des textes révoltés, engagés, sans jamais succomber à la facilité mais avec une sincérité évidente. Comment arrives-tu à garder cette même énergie qui te caractérise sans paraître désabusé ?
Parce que déjà je n’ai pas envie de l’être, désabusé ! Ce serait trop facile de tomber dans le « rien ne va plus », « c’était mieux avant » etc, etc. Déjà parce que c’est faux, ce n’était pas mieux avant et puis parce que je fonctionne comme ça : j’essayer de comprendre au mieux ce qu’il se passe autour de moi dans le monde qui avance et évolue, dans la société dans laquelle je vis, que je trouve de plus en plus violente, pour la saisir et l’apprivoiser au mieux. Ce qui ne signifie pas s’adapter et subir, au contraire. Et puis je transcris et évacue tout ça à travers la musique. C’est mon salut à moi, en somme !



 

« Se taire et écouter » ton dernier album en date, qui fait suite à « En Suspens « , et à « À l’instinct, A l’instant »  est une fois de plus très ancré dans notre époque. Il y a un tronc commun que l’on retrouve de façon prégnante. Comment avais tu imaginé au départ la cohérence qui saute aux yeux (et aux oreilles) de cette trilogie ?   
Le tronc commun est d’abord et surtout la couleur musicale, le son, l’énergie. Le fait que ce soit le même groupe qui joue, ce trio avec France et Emilie, dans ce même studio d’enregistrement Midilive, situé en banlieue parisienne, et avec aux manettes le même ingénieur du son, Stéphane Prin, aux prises et mix. Et à chaque fois, chaque année, dans les mêmes conditions de temps, en trois jours seulement, pour garder cette urgence, cette énergie rock et brute. C’est d’abord ça que j’avais imaginé. J’avais envie de faire des albums assez courts et intenses, en phase avec ma réalité, mon ressenti de l’instant. Ensuite progressivement au fil du temps sont venues les compositions, je n’avais pas toutes celles des 3 albums au départ, pas du tout ! J’avais les grandes lignes en tête, les concepts et surtout l’envie d’inscrire ça dans l’instant présent, dans l’instant vécu. En partant de ce cadre assez restreint, et de cette contrainte de temps et d’argent aussi, pour y trouver le plus de liberté possible et en y puisant le meilleur. Ces albums sont comme une photographie du temps que j’ai traversé et que je traverse. 



 

Paraît-il que rien n’est jamais définitif et pourtant dans une œuvre il y a un début et une fin. Et qu’une fois achevé, le sentiment d’avoir de nouvelles choses à faire ou à exprimer est toujours présent. C’est ton cas ? Si oui qu’est-ce qu’il manque dans ces trois disques que tu n’as pas pu dire ?
Ahah oui c’est assez vrai ! Une fois achevé, il y a toujours l’envie, le besoin, la nécessité même, d’avoir de nouvelles choses à faire. Même si en ce qui me concerne je doute aussi beaucoup et je remets très souvent les choses en question pour mieux avancer ! Je ne dirais pas qu’il manque quelque chose à cette trilogie d’album, j’ai vraiment réussi à faire les albums que j’espérais, à faire ce que j’attendais de moi-même dans ce mood et ce cadre particulier dans lequel j’étais. Et même si je peux y trouver toujours des imperfections bien sûr, c’est ce que je voulais réaliser. Mais je dirais plutôt que j’aspire toujours à progresser, à être meilleur, donc pour la suite j’aimerais réussir à faire mieux, différent et nouveau pour moi ! Et je vais m’y atteler !

 

Sincère, honnête, plus franc que jamais, (moins manichéen qu’il n’y paraît), dans le fond es-tu enthousiaste quant au devenir de l’humanité ?
Je ne sais pas trop car il est clair que tous les signes que l’on voit et que l’on connait nous présagent plutôt le contraire quant au devenir de l’humanité, mais disons que je préfère rester un tant soit peu positif, et je pense qu’il faut s’accrocher et se battre pour le rester, coûte que coûte. Même à un tout petit niveau, tenter d’essayer de faire avancer les choses, de faire changer les choses, même petites.

 

Tu vas bientôt défendre tes chansons au Point Ephémère à Paris avec Sammy Decoster. Une belle date en perspective. Comment appréhendes-tu cette date ?
Avec un grand enthousiasme, ça va être une belle soirée ! Et j’aime bien l’idée de partager la scène avec d’autres groupes ou artistes, sans forcément tomber dans le plateau type « 1ère partie + tête d’affiche ». C’est pour cette raison que j’ai invité Sammy Decoster en co-plateau pour ce soir-là. Comme j’ai d’abord commencé mon parcours en tant que musicien, j’ai toujours bien aimé ce côté « familles de musicien.ne.s » et j’avais envie de faire un plateau commun avec des musiciens que je connais et apprécie. Et puis je trouve que c’est aussi une chouette proposition de concerts à partager et à faire découvrir à un public curieux ! J’ai d’ailleurs déjà l’intention de réitérer cette initiative d’ici la fin de l’année sur Paris, de proposer d’autres concerts avec plusieurs artistes/groupe !

 

DANIEL JEA En concert au Point Éphémère (+ Sammy Decoster) https://link.dice.fm/o9f87bad433f



Suivre : https://www.facebook.com/daniel.jeahttps://www.danieljea.com/

Photo de couv. ©Christophe Crénel