[Interview] DALLE BÉTON – Terrassement et post-punk

Le groupe breton, Dalle Béton, est loin des consensus écologiques et des blabla revendicatifs des crèves la dalle du BZH, pour eux seule la douceur glaçante du béton fraichement coulé compte. Enfin si j’ai bien compris (à bien y réfléchir je me demande s’ils ne se sont pas payé ma tête). Bref… 
Théo Muller, (producteur et DJ de musiques électro), Adrien Champas (bassiste) et Erwann (guitariste) se moquent bien des qu’en-dira-t-on, ils utilisent leur désinvolture apparente pour assouvir leurs plus bas instincts musicaux fait de 30% de gravier, 30% sable et 50% post-punk tranchant (bon ça fait 110% mais ce n’est pas grave, l’important c’est de bien mélanger pour que ça croustille sous dans les oreilles). Dalle Béton est un trio pas comme les autres, non seulement parce qu’il défonce à grands coups de post-punk-électro la Start-up nation, mais surtout parce qu’il défend un amour farouche pour l’autodérision et le BTP à l’image des deux excellents Eps “B​é​ton Force 9 Fixation 24h” et “Comment réussir sa terrasse” disponible sur l’excellent label Crème Brulée records…

Vous allez bien ?

Adrien : Ça va. Un peu fatigués parce que ça bosse dur. Ce matin à 7h on avait un chantier à Melesse sur une dalle, du coup on a dû aller le faire, le client a gueulé, les délais à respecter, les températures hivernales qui ne nous facilitent pas la tâche. Les Transmusicales ça reste pour nous juste une plateforme de communication pour notre métier, il ne faut pas oublier que derrière il y a les vrais clients qui attendent leurs prestations aussi ! Et hier, on a un peu oublié, donc c’était un peu dur ce matin ! Là, on est en weekend ce soir, alors …

Théo : Mais tout va bien pour autant !

 

C’est quoi l’ADN de Dalle Béton ?

Adrien : Ce sont les 3 éléments fondateurs : le sable, le gravier, et le ciment .

Théo : Il faut savoir qu’on s’est rencontrés en Bac Pro Métiers du Bâtiment à Lamballe, et on a créé une vraie connexion autour de l’artisanat du béton, et on s’est rendu compte qu’en Bretagne, il n’y avait pas cette culture de la dalle béton qu’on pouvait connaître dans le sud de la France, et on s’est dit qu’on allait lancer une S.A.R.L. On a eu le statut en 2013, et on a commencé à se spécialiser dans le coulage de dalle et réagrégage. Suite à ça, pour raconter un peu pourquoi on fait de la musique, on a voulu à un moment donné se dire comment redonner une image plus positive à ces métiers du bâtiment, et notamment à ces métiers du béton et du gros œuvre, et on s’est dit que la musique pouvait être un média intéressant, ce qui nous a permis de monter ce groupe pour parler de notre métier, et aussi, comme on le voit dans certaines de nos chansons, pour pouvoir pousser un coup de gueule, de gros coups de gueule sur ce qui se passe aujourd’hui dans la société et avec lesquels on n’est vraiment pas en accord, donc on a voulu réaffirmer tout ça.

 

Vous êtes tous d’accord ?

Erwann : Ouais, de toute façon c’est toi la tête pensante. Moi je n’ai pas trop de cerveau, alors …

Adrien : Je suis un peu la tête pensante, j’ai eu 20 en maths en Bac Pro, du coup j’ai pris les 80% de la S.A.R.L., eux ils ont 10 et 10 .

Théo : L’ADN dans le béton, c’est un peu réaffirmer tous ces métiers qui sont un peu dénigrés. Il y a aussi tous ces lobbys un peu écologiques qui essaient de donner une image un peu négative du béton pur des impacts soit-disant néfastes sur le climat, mais ça n’a pas été prouvé encore ; et moi je trouve ça assez hypocrite parce que si on réfléchit 2 secondes, et là c’est le cas aujourd’hui, on vit chacun au quotidien sur une dalle béton ! Donc c’est un peu hypocrite de vouloir critiquer ce matériau alors qu’on l’utilise tous les jours en milieu urbain. Après il y a des belles stabulations porcines dans les campagnes, et c’est aussi du béton, donc ce n’est pas qu’en zone urbaine ! Il faut faire attention à ce genre de raccourci !

 

Vous développez quand même un univers musical singulier, amusant, délirant, mais quand même assez sérieux et engagé. Et comment vous vous situez par rapport à ça ?

Erwann : On n’a pas peur de froisser le gouvernement. Et Olvier Véran, si je puis me permettre : pas cool ! (rires) Non, mais l’autre connard, Hannouna, il ouvre sa gueule tout le temps, et nous on n’a pas le droit d’ouvrir la notre !

Adrien : Derrière le béton, on a fait un partenariat en 2020 avec le CFA Métiers du Bâtiment pour redonner une image positive du béton, et on s’est dit que la musique pouvait être un vecteur pour redorer l’image ces métiers du bâtiment. Il ne faut pas oublier qu’on a fait une chanson sur le CPF, le compte professionnel de formation, parce qu’on essaie d’intéresser les jeunes à venir dans ces métiers cu bâtiment. Aujourd’hui on a de grosses difficultés à recruter ::encore ce matin Théo ne devait pas bosser, on les jeunes apprentis qui étaient absents. Aujourd’hui les jeunes ne veulent plus bosser et c’est un vrai problème pour nous !

Théo : Donc l’ADN c’est vraiment d’utiliser la musique pour parler de notre artisanat et pour pousser des coups de gueule :contre le gouvernement, contre les tiers-lieux… Les tiers-lieux, c’est un fléau dans notre société ! On en a eu une expérience ûn peu négative il y a quelques mois de ça : on devait couler une dalle pour un tiers-lieu, on était en concurrence avec deux autres entreprises et on n’a pas été sélectionnés parce qu’ils voulaient dalles chaux/chanvre ! Vous vous rendez compte ? Des trucs qui ne sont pas solides du tout, qui n’ont jamais fait leurs preuves, qui mettent 3 mois à sécher ! Donc on a décidé de faire une chanson sur les tiers-lieux parce qu’on a été en contact de ces gens-là et qu’on a trouvé ça assez dangereux pour la stabilité de notre société.

 

Quelles sont vos convictions ?

Adrien : Nos convictions actuellement, c’est de dire qu’il y a actuellement des mouvements dans la société qui sont assez dangereux, on remet en question beaucoup de choses, souvent ce n’est pas très fondé.

 

Vous avez ambiancé le Parc Expo. Qu’avez-vous pensé de l’accueil du public ?

Théo : Les gens étaient chauds ! C’était une vraie prise de risque pour nous, parce que c’était la première fois qu’on monte sur scène comme ça, on n’est pas habitués à ça ! Et les gens étaient assez réceptifs à tout ce discours qu’on avait. Ils reprenaient en choeur tous nos leitmotivs, tous nos discours, et ça fait plaisir ! Ça montre que, malgré ce que les médias peuvent transmettre aujourd’hui, le public, quand on le voit face à nous et pas sur les réseaux sociaux, est en raccord avec nos convictions.

 

Vous êtes sous le label Crème Brûlée Records : comment s’est passé cette signature sur le label ?

Adrien : Paulo (Paul Moro, fondateur du label NDLR) on l’a rencontrés au concert de Benny Benassi en 2003, et on est devenus potes alors qu’on vient d’univers complètement différents. Mais c’est un peu lui aussi qui nous a poussés à aller vers ce monde de la musique, et ça a été un peu comme une évidence de signer sur ce label au moment venu, même si ce nom, « Crème Brûlée », je ne suis pas fan, mais ce n’est pas très grave. 

Théo : Je ne sais pas si vous avez vu, mais on ne joue que sur les cordes de mi parce qu’on a arrêté d’apprendre les autres cordes ! Mais c’est Paulo qui nous a un peu initiés à jouer de la musique. Encore une fois, c’est un bon vecteur de communication la musique, ça fédère et quand on a, nous, des enjeux aussi importants que le recrutement d’apprentis, je pense que d’aller voir directement ces jeunes-là, d’aller au contact sur des festivals, sur des manifestations culturelles et inter-culturelles, ça permet de passer un message.

 

J’ai trouvé votre concert très cool, les gens étaient chauds ! 

Erwann : C’était impressionnant : il y avait plein de gens qui connaissaient les trucs ! On a quand même 2000 auditeurs par mois sur Spotify !

Adrien : Non, mais c’est moi la plupart ! (rires)

Théo : On a sorti notre dernier truc sur le compost il y a 5 jours, il y a déjà 1200 vues sans médias, sans rien ! On est un peu dépassés par le truc ! À la base, c’est parti d’un délire pendant le Covid. Théo il est producteur / DJ, on est potes de lycée. Pendant le confinement on s’est retrouvés chez lui, on a essayé de faire de la musique sérieuse au début, et on a vu qu’on n’y arrivait pas ! Du coup on a pris des micros, on a samplé la basse, la guitare, on a raconté des conneries, Théo a tout remixé et ça a fait ce qu’on fait, et aujourd’hui on a un tourneur, on joue aux Transmusicales, c’est n’importe quoi !

Erwann : Jean-Louis (Brossard NDLR) est venu nous voir quand on avait joué à Quincé et ça l’avait fait marrer. Il nous a dit qu’il ne pourrait pas nous faire jouer sur une scène classique aux Trans, mais effectivement, ça n’aurait pas marché. 

Adrien : Ce qu’on aimerait à terme c’est d’être autonomes : de louer un camion SARL Dalle Béton, avec notre son, notre truc et qu’on arrive jouer n’importe où, on n’a pas envie de jouer sur des scènes, mais sur une place, comme ça on est proches du public.

Erwann : Mais c’est ouf de se dire qu’on touche autant de monde, surtout aux Trans avec tous ces groupes !

 

Ce qu’il y a d’amusant, c’est que dans vos musiques il y a un sous-texte qui est très prégnant : il y a le délire, l’amusement, mais il y a plus que cela?

Erwann : Effectivement, plus sérieusement on a des convictions : on est des bobos, on boit du vin naturel, on a monté un tiers à Quincé, mais on a envie de se foutre la gueule de tout ça aussi et de dire qu’à un moment donné ça peut être ridicule. Le côté Dalle Béton, on ne l’avait pas trop réfléchi, sauf que là je suis entrain de lire un bouquin sur béton armé symbole du capitalisme, et comment ce matériau a permis de faire des grattes-ciel énormes par exemple, donc on fait un peu provoc, mais ça fait marrer les gens, et c’est ça qui est bien. On ne veut pas se prendre au sérieux car on n’est pas sérieux. Mais on a un peu le syndrome de l’imposteur : on est des musiciens amateurs mais on est aux Trans ! On a des potes qui sont musiciens pro et qu’eux galèrent à faire leur intermittence.

Théo : On est un peu dépassé par tout ça, on a joué aux Trans ! Et si ça s’arrête là, ça nous va très bien. Mais c’est inépuisable en fait : Erwan, là il est un peu inhibé mais c’est lui qui la source de toute la connerie ! C’est le mec le plus drôle que je connaisse, du coup quand on est entre nous, c’est inépuisable, le moindre sujet peut faire une chanson ! Et Théo a cet art de remettre les trucs au bon endroit, d’en faire une track qui joue bien, et ensuite on la joue en live. 

Adrien : Mais il faut que ça reste de la déconne !

 

Justement, ça casse un peu l’image des Trans !

Adrien : Le nombre de gens qui mettent des stories sur Instagram depuis hier, c’est ouf ! Il y a le programmateur des Vieilles Charrues qui nous a trop kiffés !

Erwann : Olivier Véran nous a re-twitté (rires) !

 

Comment voyez-vous votre avenir ?

Théo : On ne sait pas, on n’a pas l’ambition de vivre de ça . Théo, il vit de ça, il a plein de projets et aujourd’hui il a la renommée qui fait que… Là il a un projet avec un DJ suisse, il va jouer à Primavera, sa carrière est entrain de décoller.

Erwann : Du coup s’il y a une tournée de prévue cet été on la fait, après est-ce que ça va durer plus d’un an, on ne sait pas, mais ça peut être cool de se professionnaliser : par exemple on a été payés pour faire une résidence, et on se disait « what the fuck ?! », du coup ça nous a permis de vraiment bosser le live, ce qu’on n’avait jamais fait avant ! Mais on a nos taffs aussi.

Adrien : Mais, franchement, on verra…


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Retranscription Anne-Marie Leraud