Boucan, créature à la créativité hirsute, petits frères turbulents de Tom Waits, cousin germain groovy de TC Matic, fait figure d’ovni dans le paysage musical actuel. Après l’excellent « Colère Mammouth » le duo nous invite à une nouvelle excursion sonore hors des sentiers battus, une sorte d’exploration de l’instant et de l’émotion brute nommée « Ballad of John Kairos ». Brunoï Zarn (chant, guitare, banjo) et de Mathias Imbert (chant, contrebasse, batterie), accompagnés du producteur de renom John Parish, nous livrent un album intense, où la spontanéité règne en maître.
Les collaborations, judicieusement choisies, apportent une richesse supplémentaire à l’album. Notamment : » Gedoe Met Geluid » avec G.W. Sok, balade cathartique et lynchienne, nous plonge dans un univers sombre et mystérieux. » Lola des Villes » avec Lior Shoov, chamanique et envoûtante, nous transporte dans des contrées lointaines.
» Ballad of John Kairos « , lâcher-prise créatif total, l’écoute devient rapidement immersive, en nous offrant une expérience musicale tumultueuse, où l’émotion est reine.
Pour en savoir plus sur cet opus Boucan a répondu à mes questions…
« Ballad of John Kairos » évoque une sorte de voyage musical et narratif aussi étrange que captivant. Pouvez-vous nous raconter l’histoire derrière cet album ?
Mathias : Une fois les morceaux composés, nous avons fait appel à Bastien Pellenc (violon, claviers, voix) pour participer aux arrangements. On a commencé par lui envoyer les maquettes des morceaux enregistrés à deux (Brunoï et moi, banjo ou guitare bidon, contrebasse/batterie, voix). Il nous a fait un premier retour magnifique de violons ou claviers et souvent augmenté de bruits de pas ou autres ambiances sonores. Puis on a su qu’il avait en sa possession un beau Nagra (enregistreur à main) qu’on a décidé d’emmener avec nous à Bristol pour l’entrée en studio. Du coup le soir après les journées de studio, on se promenait dans les rues pour prendre les sons de la ville.
Ensuite au 3eme jour de studio, un matin, on avait prévu d’enregistrer le morceau « Gedoe met geluid ». Je demande à Bastien de nous mettre le métronome au tempo du morceau sur son téléphone, et puis on envoie le morceau, tout en réglant le son dans les casques. On fait défiler le morceau jusqu’au bout et une fois prêts on dit à John Parish qu’on est ok pour faire une première prise. Et John nous dit que ce qu’on venait de jouer là lui semblait parfait, il avait tout enregistré. Un peu éberlués on lui dit qu’on tient quand même à faire une prise comme prévu. On la joue, elle est parfaite. Trop ? Possible. John nous dit qu’il préfère vraiment la première version, il nous la fait écouter. On entend le métronome au début, qu’à cela ne tienne, il y met une grosse reverb, les essais de banjo pendant que Brunoï règle son casque donnent un son bancal au morceau qui rajoute à son charme. On aura jamais entendu la version « finie » du morceau. On avait jamais vécu ça en studio.
Le soir autour d’un verre, on a reparlé de tout ça, complètement médusés. Je ne sais plus lequel d’entre nous a parlé en premier du concept grec de « Kairos », qui signifie en gros, de saisir l’opportunité du moment qui passe, mais entre nos ballades quotidiennes dans les nuits de Bristol et la rencontre avec ce John « Kairos » Parish, « Ballad of John Kairos » nous a semblé faire un beau titre pour cet album.
Hors des mots universels qui traversent cet album. Y a-t-il une sorte de mysticisme primaire ou tribal qui transpire. est ce une des histoires qui se cache derrière et laquelle ?
Mathias : Sachant que le mysticisme a la même étymologie que le mystère, il est évident que nous prenons bien soin de le laisser nous traverser. Quand on voue sa vie à la musique, c’est qu’on est d’accord avec l’idée qu’on ne peut pas tout expliquer, et que c’est ça qu’est bon. D’où ma « non-réponse ».
Est-ce qu’en inventant votre propre langue, vous releviez un nouveau défi créatif ?
Mathias : Ça fait quelques années qu’on part tous les ans en tournée en Allemagne. C’est lors d’une d’entre elles, alors qu’on chantait le plus souvent en français, qu’on s’est aperçu que le public ressentait le même genre d’émotions sur les mêmes morceaux que le public francophone. On s’est donc effectivement lancé ce défi de faire un album entier dans une langue qui ne voudrait rien dire. Ce dont on s’est aperçu c’est que ça laisse beaucoup plus de place à la musique, et beaucoup plus de liberté pour faire de la musique avec la voix.
Votre musique mêle plusieurs influences (folk, rock, blues, etc.). Quelles ont été vos sources d’inspiration pour creuser encore un peu plus votre univers ?
Mathias : Nos sources d’inspiration : ce monde de merde en opposition complète avec le plaisir qu’on a à faire de la musique ensemble.
Étrangement, exactement cinématographique, y a-t-il des films qui ont nourri l’ambiance de Ballad of John Kairos lors de la conception ?
Mathias : Pour ma part non.
Brunoï : Pour ma part, carrément oui ! J’ai été marqué par « Paris Texas » de Win Wenders projeté au ciné club de mon village à 15 ans, le son de la slide de Ry Cooder et les images de Win Wenders ont définitivement liés la musique et le cinéma, ça s’est poursuivi avec beaucoup d’autres, ça reste pour moi deux moyens de locomotion inégalés pour voyager vers les espaces du dehors et du dedans.
Comment décririez-vous l’évolution de Boucan depuis votre premier disque ?
Mathias : La perte d’un membre fondateur du groupe, et qui plus est, un ami cher, dans un trio, ça fait mal. Le fait que Brunoï ait arrêté la guitare pour ne faire plus que du banjo ou de la guitare-bidon, que moi je me sois rajouté une batterie aux pieds en plus de la contrebasse n’est rien à côté de la complicité qu’on a gagné face à la disparition d’un trompettiste tel que Piero Pepin. Les voix aussi ont pris une place importante dans le son.
L’arrivée sur ce disque de l’énergie débordante d’enthousiasme, de créativité, de musicalité de Bastien Pelenc fut un bel exutoire.
Y a-t-il eu un morceau de l’album plus difficile à finaliser que les autres et pourquoi ?
Mathias : « Lola des villes » et « Gedoe met geluid » n’étaient pas évidents parce que nous avons dû enregistrer les bases à Bristol ensemble, Brunoï, Bastien et moi, et nos deux invités, Lior Shoov et G.W. Sok ont enregistré de leur côté. Il fallait pouvoir mettre assez d’énergie pour que les morceaux existent mais savoir retenir pour leur laisser toute la place qui leur fallait.
Déjà plusieurs dates à votre actif pour défendre vos nouveaux titres. Comment avez-vous adapté cet album au format scène ?
Mathias : Bastien étant très pris de son côté, nous n’avons pas pu partir en tournée avec lui. Nous sommes toujours en duo sur scène mais nous sommes assez entraînés pour jouer avec le vide. Et je crois qu’on finit par aimer ça.
Y a-t-il des aspects dans la mise en scène ou l’interprétation qui vous ont plus particulièrement demandé d’être imaginatif ?
Mathias : Pour ma part non.
Brunoï : Non plus!?
Lors de vos concerts, avez-vous eu des retours du public surprenants ? Et comment vivez-vous ces moments de live ?
Mathias : Pour ma part non, mais le live c’est la vie !
Brunoï : La vie oui!
BOUCAN en concert :
05/04 – Le JAM / MONTPELLIER (34)
22/05 – Capribar / BASEL (CH)
23/05 – Provisorium / NÜRTINGEN (DE)
24/05 – Olli Zilk / VIECHTACH (DE)
25/05 – Chez l’habitant / FURTH (DE)
27/05 – Chez l’habitant / BAYREUTH (DE)
28/05 – Festival Mane / AUGSBURG (DE)
29/05 – Blue Note / DRESDE (DE)
Photo de couv. (c) Ariane Ruebrecht