[Interview] Be My Wife – « To Deliver a Feeling »

Sous le nom Be My Wife, Federico Nessi compose une pop sensuelle et nocturne, nourrie de mélancolie et d’élans dansants. Entre Paris, Miami et Buenos Aires, l’artiste tisse un univers à la croisée du gothique, du krautrock et de l’électro, où chaque morceau devient une performance à part entière. Après la sortie de son second EP « To Deliver a Feeling » Federico nous parle de cette quête sonore et émotionnelle qui habite sa musique et bien plus encore…

Ton pseudonyme est inspiré de David Bowie : que représente pour toi cette référence et en quoi Bowie a influencé ton univers artistique ?
Je ne suis pas quelqu’un qui suit une voie religieuse, mais si c’était le cas, j’appartiendrais à l’église de David Bowie et Brian Eno. Pour moi, cela va au-delà de leur œuvre musicale : c’est ce qu’ils représentent en tant que figures culturelles, leur soif d’expérimentation sans complexe et les portes qu’ils ont ouvertes à tous les marginaux du monde. Deux véritables artistes qui resteront à jamais une grande source d’inspiration.

 

Tes chansons sont décrites comme des performances physiques et visuelles. Comment conçois-tu la relation entre musique, corps et image ?
Je fais de la musique pour la jouer. J’ai une formation en beaux-arts et j’ai passé plusieurs années à travailler principalement sur des performances alliant physicalité et endurance. Mon travail (qu’il soit visuel, audio ou les deux) a toujours eu pour objectif de me transporter, moi-même et le spectateur/auditeur, vers des états de conscience élevés. Je pense que la bonne musique et le bon art doivent vous faire ressentir des choses, vous mener vers une expérience viscérale.

Du bonheur à la douleur, si vous ne le ressentez pas dans vos tripes, alors l’artiste ne fait pas son travail (à mon humble avis).

 

Tu as vécu entre Paris, Miami et Buenos Aires : en quoi ces villes et leurs atmosphères nocturnes nourrissent-elles ton imaginaire musical ?
Toutes ces villes (et j’inclurais également Portland, dans l’Oregon, où j’ai fait mes études universitaires) ont eu une influence majeure sur mon développement en tant qu’artiste.

Elles sont toutes très différentes, mais chacune d’entre elles possède (ou du moins possédait lorsque j’y vivais) une scène underground fascinante. Ma musique est clairement inspirée par les soirées auxquelles j’ai participé dans toutes ces villes et par les groupes/artistes que j’ai rencontrés au fil du temps.

 

Tes morceaux mêlent des influences gothiques, krautrock, postpunk, indus et électro. Comment parviens-tu à équilibrer ces références pour créer ta propre signature sonore ?
Je ne sais pas si j’arrive vraiment à trouver l’équilibre. Est-ce que j’y arrive ?

J’ai la quarantaine et j’ai passé toute ma vie obsédé par la musique. À ce stade, il est inévitable que des décennies de références ne cessent de tourbillonner dans ma tête.

Cependant, j’essaie toujours de pousser mon son pour ne pas reproduire celui d’un genre musical. Il y a beaucoup de musique que j’apprécie aujourd’hui, mais qui pourrait facilement être un tube gothique de 1984. J’essaie toujours de donner une touche originale à ma musique afin que les références ne soient pas immédiatement identifiables.

Je m’efforce de faire en sorte que mon son soit exclusivement celui de Be My Wife.

 

Tes deux EPs s’intitulent The Restless Pursuit et To Deliver a Feeling. Peux-tu nous expliquer le lien narratif ou émotionnel entre ces deux projets ?
En fait, ils forment un seul et même ensemble. Il faut les lire comme un titre complet : “The restless pursuit to deliver a feeling.”

Je les ai divisés en deux EP pour représenter les paradoxes qui existent dans les chansons. Je suis Gémeaux et j’ai toujours été attiré par les dualités. L’obscurité et la lumière, la joie et la tristesse.

Le premier EP sert d’introduction au personnage de Be My Wife. Les chansons ont davantage de liens avec ma pratique artistique des dernières décennies. Le deuxième EP représente plus clairement qui est ce personnage aujourd’hui et où il va.

Mais il est essentiellement destiné à être considéré comme un ensemble complet.

J’ai abordé ces 8 chansons comme un « album concept » classique, destiné à être apprécié dans son ensemble. C’est pourquoi je vais bientôt sortir un vinyle avec les 8 titres.

 

La nuit semble être un motif central dans ta musique, à la fois festive et mélancolique. Que cherches-tu à raconter à travers cette dualité ?
Je dirais que je suis plus attiré par l’obscurité que par la nuit. J’ai toujours eu un peu peur de la nuit.

Ce qui m’attire dans l’obscurité, c’est qu’elle nous permet d’apprécier la lumière. Ce n’est que dans l’obscurité que nous pouvons vraiment apprécier les subtilités de la lumière.

 

Dans Another Light et Me Cuesta, on sent une tension entre danse et introspection. Quand tu composes, penses-tu d’abord à la piste de danse ou à l’écoute intime ?
Tout cela est vraiment introspectif. Il existe suffisamment de musique dance incroyable créée uniquement dans le but de faire danser les gens. Je ne ressens pas le besoin de rivaliser avec cela. Je pense que mon approche est trop analytique pour permettre la liberté nécessaire à la création d’une bonne « musique dance ». Spontané et insouciant ne sont pas des mots que j’utiliserais pour me décrire. Méticuleux ? Peut-être. Névrosé ? Pourquoi pas. Mais je n’ai pas la décontraction nécessaire pour me laisser emporter par le rythme. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas faire danser les gens ! J’adore ça. Mais ce n’est pas mon objectif avec mes morceaux. J’espère avant tout susciter une émotion.

 

Tes concerts sont annoncés comme des expériences immersives. À quoi peut s’attendre le public lorsqu’il vient voir Be My Wife sur scène ?
Il faudra venir pour le découvrir, n’est-ce pas ?

Mais je suis plutôt hypnotisé par mes chansons lorsque je les interprète, et j’espère que le public l’est aussi.

 

Photo de couv. ISABELLE WENZEL