[Interview] Arnaud Fournier – « 100% Black Puzzle »

Trente ans après le coup de tonnerre 100% White Puzzle de Hint, Arnaud Fournier revient avec un écho sombre et intime : 100% Black Puzzle. Ce premier album solo marque une nouvelle étape dans la trajectoire d’un musicien insaisissable, passé par les fracas noise de Hint, les déflagrations électro-rock de La Phaze ou encore les explorations d’Atonalist. Conçu entre introspection et collaborations fraternelles, ce disque tisse un puzzle de textures, d’amitiés et de libertés sonores, où se croisent Hervé Thomas, Frédéric D. Oberland, Herman Düne… et même sa propre famille.
Né d’une résidence en pleine période de confinement, 100% Black Puzzle s’impose aujourd’hui comme une œuvre de (re)construction, à la fois expérimentale et profondément humaine.
Rencontre avec un artiste qui, plus que jamais, revendique le droit de brouiller les pistes et de faire vibrer nos émotions.

 

Ce premier album solo arrive après une carrière déjà dense, entre Hint, La Phaze et d’autres projets. Qu’est-ce qui a déclenché ce besoin de vous affirmer en solo aujourd’hui ?
Il y avait une envie « souterraine » depuis quelques années, mais sans aucune idée de ce que pouvait être ce projet solo. L’élément déclencheur a été la proposition de la Friche Antre-Peaux de Bourges de faire une résidence de création de 5 jours avec un concert en streaming à la clé (pendant le Covid et les salles fermées). Il y a eu ensuite mes premiers concerts en « vrai », notamment en première partie de Thurston Moore. Tout ça m’a permis de prendre confiance en moi et de construire (lentement mais sûrement) ce projet. La dernière phase pour rendre ce projet officiel et concret était de coucher les morceaux sur bandes et de sortir un album.

 

Le titre de l’album, 100% Black Puzzle, fait directement écho à 100% White Puzzle, le premier album de Hint sorti il y a 30 ans. Quelle relation entretenez-vous aujourd’hui avec cette période et cette symbolique du miroir inversé ?
Je me suis senti exactement dans le même mood de liberté créatrice qu’on avait eu avec Hervé en composant notre premier album de Hint. Je trouvais que ça faisait sens de s’y référer, surtout qu’on partait avec Hint pour notre tournée des 30 ans et qu’Hervé joue un titre avec moi sur l’album, ce qui en fait le premier nouveau morceau de Hint depuis 26 ans ! Je garde un super souvenir de cette période où on était jeune et insouciant (cliché mais vrai!), où on ne fonctionnait qu’à la passion et l’entraide. La musique en Europe n’était pas encore « institutionnalisée » et on a grandi en même temps que les asso et les salles qui ouvraient.

 

On retrouve sur l’album plusieurs compagnons de route, dont Hervé Thomas, Frédéric D. Oberland et Herman Düne. Était-ce important pour vous que ce premier disque solo reste traversé par vos amitiés musicales ?
Pour Hervé, ça faisait tellement sens par rapport à notre duo. On n’arrive toujours pas à se poser pour faire un nouvel album (le troisième et dernier date de 1998). Là c’était pour mon album, c’était moins engageant. Ça s’est fait très simplement et de manière très fluide. L’alchimie musicale est toujours intacte. Pour Fred Oberland, j’avais cette idée en tête depuis qu’on avait joué un combat de sax ensemble lors dun concert de Hint et Oiseaux-Tempête à Paris. On pratique les mêmes instruments et on les détourne souvent de la même manière. On s’est mis face à face et on s’est jeté à l’eau; le titre est un one-shot improvisé. Pour Herman Dune, je suis fan de ce songwriter de génie depuis 20 ans. Depuis 3 ans, je suis son tour-manager pour l’Europe et on est devenu ami. Je lui ai proposé de le sortir de sa zone de confort qui est la folk -music, même s’il est un grand fan de Sonic Youth et Godspeed You Black Emperor par exemple. Il apporte une touche plus « pop » à cet album d’ambiances.

 

Le single « It’s The Leaving That’ll Kill You » a quelque chose d’à la fois intime et universel. Comment cette chanson est-elle née, et comment s’est imposée la voix de Herman Düne ?
C’était un morceau que je jouais en live, mais qui ne rendait pas très bien une fois enregistré. Je l’ai remodelé de manière plus « pop » avec des couplets-refrains-pont et je l’ai envoyé à David. Il a enregistré sa voix et un arrangement de guitare acoustique dans son studio à Los Angeles. Encore une fois, ça a été simple et fluide, il n’y a pas eu d’allers-retours. C’est l’une des voix que je préfère au monde. Et je trouve ça cool de l’entendre dans un environnement musical touffu , avec des drones et de la saturation. 

 

Votre fille Philippine participe au morceau. Qu’est-ce que cela a représenté pour vous d’inviter un membre de votre famille dans ce projet ?
Oui, elle fait les choeurs et double la voix de David à un moment. Ça apporte beaucoup de douceur et de contraste à la chanson. Elle y joue aussi de l’euphonium. J’ai toujours aimé faire participer des membres de ma famille (mes frères dans le premier Dead Hippies par exemple). C’est la première fois que je fais participer mes 2 filles, car c’est ma fille ainée Garance qui a fait toutes les photos argentiques qui ont servi à l’artwork du disque, photos prises à New-York et Belle-Ile. Et comme souvent avec mes projets, c’est mon frère Olivier « Cali » Fournier qui a mixé et masterisé l’album à son Studioscope (Angers).

 

Hint reste une formation marquante, au croisement du noise, du jazz et de l’expérimental. Comment ces racines influencent-elles encore votre écriture et vos textures sonores aujourd’hui ?
Je pense que ma démarche solo est exactement la suite de celle de Hint, et plus récemment du projet Atonalist (avec Renaud-Gabriel Pion et Gavin Friday). Jouer à l’instinct, sanas aucun calcul; brasser les genres, ne se poser aucune limite, expérimenter des sons et des harmonies; manier les extrêmes, du plus doux au plus violent.


Après avoir partagé la scène avec  BRUIT ≤ au Ferailleur à Nantes en septembre, vous serez en ouverture de Young Gods au Trabendo le 21 novembre. Des groupes plutôt fidèles à l’énergie de votre nouveau projet. Y’a t il avec eux une sorte de filiation implicite ?  Ou peut-être avec d’autres groupes et ou artistes qui vous touchent particulièrement actuellement ?
Pour Bruit<, on ne se connaissait pas mais j’adorais leur musique, extrèmement bien construite et super puissante. J’ai été marqué par la qualité d’écoute de leur public. J’étais assez stressé par ce premier concert nouveau set-up et set-list, et je me suis finalement senti porté par ce public très attentif et impliqué. Les Young Gods, je les croise depuis 30 ans, avec Hint dans les années 90, avec La Phaze dans les années 2000, avec Dead Hippies dans les années 2010, et en maintenant en solo dans les années 2020. C’est un jalon d’indépendance artistique, de créativité et de longévité. J’ai un respect immense pour ce groupe et c’est un honneur pour moi de partager l’affiche avec eu, comme ça l’a été avec Thurston Moore. Il y a plein d’artistes de la sphère expérimentale et noise que j’aimerais rencontrer. J’aimerais aussi pouvoir extrapoler ma musique dans la danse, la musique à l’image ou dans des musées.

 

Et comment avez-vous imaginé la transposition scénique de ce disque si personnel ? 
Je n’ai pas eu à la faire, car c’est les morceaux ont été créé avec un set-up pour le live en premier. Il a donc fallu ensuite transposer ces titres live pour l’album, ce qui n’a pas été simple pour certains morceaux. Il a quand même fallu ré-adapter certains titres pour respecter quelques arrangements créer pour le disque. Et se dire que je ne pourrai pas jouer la chanson avec Herman Dune en concert, vu qu’il habite de l’autre côté de la terre et qu’il serait étrange de mettre sa voix sur une piste d’ordinateur. En tournée actuellement avec Herman Dune, on la joue acoustiquement tous les 2 en off, pour le plaisir.


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