Le Crossroads Festival revient en force et dévoile une ambitieuse programmation pour sa 9ème édition. 21 groupes se produiront en showcase du 5 au 7 novembre. Rencontre avec Benjamin Mialot, programmateur du festival.
Bonjour Benjamin, est-ce que tu peux déjà nous parler de l’origine du festival
Salut Lust 4 Live. Ayant intégré le projet il y a une petite poignée d’années, je ne suis pas forcément le mieux placé pour en retracer l’historique. Ce que je peux dire, c’est qu’il a été imaginé par la Brigade d’Intervention Culturelle (BIC), association qui travaille depuis plus d’une vingtaine d’années sur les problématiques de développement de carrière et d’export des artistes de la région Hauts-de-France, via de l’accompagnement scénique et structurant, de la mise en réseau, des partenariats avec des événements consacrés à l’émergence comme Les Bars en Trans, la Strasbourg Music Week, Francofaune en Belgique… Crée en 2016, Crossroads est une sorte d’aboutissement de cette démarche de fond. Il s’agit d’un festival de showcase, c’est-à-dire d’un événement qui promeut la découverte, en priorité à l’adresse des professionnel.le.s du secteur musical (mais le grand public est évidemment le bienvenu) et qui implique dans son élaboration, autant que faire se peut, l’ensemble de la filière locale.
Quel est ton rôle au sein du festival ?
Il avait d’abord été qualifié de « coordinateur de la programmation », mais tout le monde raccourcissait ce titre en « programmateur », donnant l’impression que je décidais unilatéralement du contenu artistique du festival, ce qui n’est pas le cas. Crossroads fonctionne en effet avec des comités de programmation, qui ont pour mission de décortiquer les réponses à un appel à candidatures que nous lançons en début d’année. L’un est composé de programmateurs.trices et chargé.e.s d’accompagnement de la région, auxquel.le.s est confiée la sélection Hauts-de-France. L’autre est constitué d’administrateurs.trices de la BIC, des personnes qui travaillent par ailleurs dans le champ musical (je suis moi-même programmateur aux 4Ecluses à Dunkerque) et s’occupent ici de la sélection nationale et internationale. Mon rôle est d’opérer un premier filtre, de créer les conditions d’une décision collective, d’animer les débats, de trancher les hésitations, de veiller au respect de nos engagements en terme de diversité (de genre, d’esthétique, de provenance)… Bref, on peut dire que je suis une sorte de conseiller artistique.
Est-ce que pour toi, c’est un challenge supplémentaire d’aller trouver des artistes émergents partout sur le territoire ?
Comme n’importe quelle activité générant une économie, la musique est traversée par des logiques concentrationnaires et des effets de mode, et c’est d’autant plus criant en ces temps de toute puissance algorithmique. Notre rôle est à la fois de prendre acte de ces tendances et de les déjouer, en donnant à voir des artistes en capacité d’intégrer des réseaux de diffusion plus étendus que ceux qui sont les leurs, mais qui ne sont pas pour autant ceux et celles qu’on s’arrache déjà dans les dispositfis plus établis (Inouïs du Printemps de Bourges, Fair, MaMa…). En tout cas pas seulement. Donc oui, c’est toujours un challenge de prendre le pouls artistique de l’époque sans pour autant complètement caler son pas sur celui de l’industrie. Ceci posé, la pratique musicale n’a jamais été si foisonnante, ce ne sont donc pas les projets intéressants qui manquent, en France comme ailleurs.
Cette année vous présentez la 9e édition du Crossroads. Quelles sont les évolutions du festival pour cette édition ?
Le festival a trouvé sa formule de croisière depuis la sortie de la pandémie de COVID : trois soirs, deux scènes, 21 projets, la Condition Publique, son charme de brique et de verre, sa multiplicité d’espaces… Les événements de cette ampleur n’ont de toute façon pas vocation à opérer une révolution à chaque édition, c’est sur le long terme que les évolutions se dessinent. Sur le long terme et sous la surface. Nous avons par exemple renforcé nos liens avec la Belgique, nos partenaires historiques (le réseau de diffusion Court-circuit, le bureau export WBM et le festival Francofaune) étant cette année parties prenantes des rencontres professionnelles et des temps de convivialité. Même chose avec l’autre Canada francophone (hors Québec donc), avec le retour de l’ANIM deux ans après une fructueuse première collaboration. Nous sommes aussi ravis d’accueillir dans cette liste de partenaires Le Gueulard Plus, la SMAC de Nilvange, avec laquelle nous avons opéré en 2024 un premier échange de programmation. Bref, toutes ces petites choses peuvent sembler relever de la tambouille interne, mais elles sont des signes de la reconnaissance de notre travail et de notre volonté de l’inscrire dans un paysage toujours plus large et divers.
Véritable melting-pot culturel vous naviguez entre plusieurs styles rock electro, rap, pop, etc… Comment expliquer votre souhait d’avoir une programmation aussi éclectique ?
Cela rejoint un peu ce que j’évoquais plus haut. Malgré les incitations technologiques, commerciales et politiques à nous enfermer dans des bulles de contenu rassurantes et hermétiques, l’époque est foisonnante et diverse, il y a donc presque une mission d’intérêt public à en rendre compte. Au-delà de ces considérations globales, notre prisme est aussi local : la région Hauts-de-France est féconde de musiques diverses, et nous avons à coeur d’en promouvoir le plus possible. Nous sommes par exemple un des rares festivals de showcase à faire chaque année une incursion dans les musiques extrêmes, généralement cantonnées à des événements spécialisés ou des réseaux alternatifs.
Quels sont tes plus grands coups de cœur ?
La question fatidique. C’est un peu comme demander à un parent quel est son enfant préféré. Mais bon, puisqu’il le faut. A titre personnel, j’ai hâte de découvrir sur scène Frieda, qui m’a l’air d’être un choeur gospel à elle toute seule, la pop pince-sans-rire de Chahu et le rap aux racines afro-caribéennes de Sika Rlion. Je suis tout autant impatient de revoir Don Kapot et son jazz-punk aussi virtuose que déroutant, Olkan & la Vipère Rouge et leur imparable techno d’inspiration méditerannéenn ou encore les Lyonnais d’Irnini Mons, qui allient la puissance de la noisy pop à la grâce des chants tradtionnels. Et j’arrête là, sinon je vais citer tout le monde, mais notez pour finir que nous accueillions aussi les trois projets hip-hop les plus prometteurs de la région, en tout cas à mes yeux, à savoir Konga, 0 Degré et Lynx IRL.
Au-delà de la programmation musicale, le festival propose aussi des temps de rencontres professionnelles. Quels sont les atouts de ces rencontres ?
Pour naviguer dans un univers aussi complexe, changeant et compétitif que l’industrie musicale, avoir du talent et de la volonté ne suffit malheureusement pas, qu’on oeuvre sur scène ou dans les coulisses. Il faut aussi en comprendre les enjeux, les mutations, le maillage… Ainsi, nos rencontres professionnelles invitent non seulement à discuter des grandes questions qui agitent le secteur, sur la transition écologique, l’inclusivité, la circulation européenne, la santé des artistes ou encore l’impact de l’intelligence artificielle sur nos métiers, mais aussi à échanger conseils, outils et contacts utiles au développement d’une carrière, y compris via des temps plus informels (comme des apéros ou déjeuners) ou plus personnalisés (ateliers, pitch sessions). Le programme se veut donc à la fois exhaustif et participatif, et il faut bien ça pour contenter les plus de 400 professionnel.le.s qui se pressent chaque année au festival.
Plus d’informations sur le site du festival https://www.crossroadsfestival.org/