[Interview] Hache-Paille “L’affût”

Certes leur patronyme peut intriguer et même prêter à sourire, mais les trois Bretons de Hache-Paille, savent y faire lorsqu’il s’agit de montrer à quel point le post-rock, dans sa frange la plus mélodique, peut être beau et fortement émotionnel. Le combo formé de Clémentine PagePiergiacomo Costi et Eric Cervera revient, avec un nouvel Ep intitulé “L’affût”, disponible sur les plateformes numériques depuis le 08 janvier 2023. Il traite des questionnements de notre époque trouble, où on sent une vraie sincérité dans le propos et une puissance émotionnelle non feinte. Dans un univers pour le moins original, Hache-Paille démontre, sans nul doute, qu’ils savent nous mettre en jambe. Impossible de rester indifférent ni à leur musique ni à leurs paroles ni à leur sens aiguisé du rythme. Dans un langage poétique, délicieusement âpre, filée de métaphores, ils font remuer les mots au rythmes électriques, et les 5 titres sont à la fois poignants, efficaces et beaux.
À l’occasion de la sortie de cet opus discographique nous avons voulu en savoir plus et pour cela, Clémentine et Eric ont accepté de répondre à nos questions…  

Pour ceux qui ne connaissent par encore Hache-Paille, comment définiriez-vous votre univers ?

Clémentine : L’univers musical de Hache-Paille est un puzzle représentant une plume dans un oiseau rare (pas d’un pigeon), dans un désert de pierres. Avec la douceur et la rugosité qu’il peut y avoir entre ces 2 choses. L’univers des textes est sans trop de doutes assez désenchanté, contemplatif mais engagé, quoi que ça puisse paraître.

Eric
: improbable. imprévisible. à la fois poétique et perché, rock mais pas que, pop psychédélique, faussement naïf…
 

Vous formez un trio vous pouvez-vous revenir sur la genèse du groupe ?

C : Hache-Paille a démarré sur les cendres d’un précédent groupe, Nüdak, il y avait à ce moment-là beaucoup de colère, de tristesse, d’envie de grogner, mais surtout l’enthousiasme de tout recréer. Alors ça a été assez fulgurant, on a travaillé d’arrache-pied en duo, puis au moment de sortir notre premier album, Eric nous a rejoint pour gagner en puissance sur scène. Et le fameux chiffre 3 a encore frappé et c’est bien!

E : j’ai rejoint le groupe après avoir enregistré le premier album alors qu’il était encore duo. Clem a enregistré beaucoup de guitares en studio, la question de retranscrire ces compos en live a soulevé la question d’intégrer un troisième membre dans le groupe pour jouer ces parties de guitares. Ils m’ont proposé beaucoup d’argent. J’ai accepté.
 

Presque 1 an jour pour jour, après votre album “Cynodrome”, vous revenez avec un EP “l’affût” . Pourquoi revenir à ce format EP ?

C : Cynodrome a été enregistré en 1 mois, et 4 morceaux de l’EP ont aussi été enregistrés en un mois. On a travaillé différemment, on a pris notre temps sur les arrangements. Aves Giacomo, c’est notre 3ème album en 4 ans, on commence à mûrir un peu et on est moins pressés je pense.

E : Le premier album est sorti il y a un an, et enregistré alors en format duo par Clem et Giacomo. Depuis nous sommes un trio, le son du groupe a pas mal évolué, c’était important de publier quelque chose qui ressemble à ce que les gens découvrent en live, d’où ce travail d’écriture et d’enregistrement en trio. Nous avons enregistré 8 nouveaux morceaux, conservé 5 et sorti ce Ep. Il est plus représentatif du son de Hache-Paille aujourd’hui que ne l’est Cynodrome, le premier album. Le format Ep nous permet de sortir quelque chose plus rapidement que si nous devions attendre d’avoir un album complet.
 

Musicalement sur cet Ep vos mélodies sont plus lentes, faussement calmes. y’a t’il une raison particulière à cela ?

C : Je trouve que personnellement je me détends un peu, j’ai moins envie de tout péter qu’au début de Hache-Paille. J’ai toujours envie que ça grogne mais sans oublier la délicatesse.

E : on vieillit. 
 

Et comment l’avez vous composé ?
C : Tout a été composé à 3. La musique et la mélodie de chant en premier puis les paroles qui viennent petit à petit, comme une sculpture que l’on monte.

E : Le point de départ est souvent un groove basse/batterie que l’on fait tourner et sur lequel on improvise jusqu’à ce que les idées de structures puis de mélodies apparaissent puis se précisent…
 

Vous arpentez et usez d’une certaine forme de mélancolie hallucinée, surréaliste sombre et poétique que l’on pourrait classer non loin de Mendelson ou de Diabologum. Où trouvez-vous votre source d’inspiration ?
C : Mes derniers coups de cœur c’est Gus Englehorn, Low, Tago Mago groupe rennais au top! J’adore la musique anglaise et américaine indé. Du côté des suisses, je tends l’oreille et je trouve qu’il se passe des trucs vraiment cool niveau musique : Emilie Zoé que j’adore, Louis Jucker, Peter Kernel, et le génial Orchestre tout puissant Marcel Duchamp. Je ne me lasse pas d’écouter Beak, Can, Portishead, Big Thief, Blonde Redhead, Radiohead.  

E : « mélancolie hallucinée, surréaliste sombre et poétique » ça pourrait être sur la carte de visite de Clem :). Niveau inspiration, je viens de la musique de film, je vais plus facilement me laisser embarquer par un bon film ou un bon bouquin…
 

Déjà sur votre premier album, vous aviez un axe un peu rock cathartique et une vision presque prosaïque du monde. Est-ce que vous voyez la musique comme un moyen d’exprimer votre quête d’idéal ? 
C : Cette vision prosaïque existe bel et bien oui, ce n’est tout de même pas pour ça qu’on fait de la musique. On lance des messages qui ne sont pas des paroles en l’air, mais ça reste un militantisme doux. J’ai toujours peur de prêcher des convaincus, alors la poésie m’aide à donner la couleur pour libérer les colères et laisse planer le mystère parfois. “Bas-fonds” sur l’EP est le bon exemple, il est complètement inspiré du combat autour des algues vertes si ahurissant. Généralement, il y a aussi pas mal d’introspectif dans mes textes, quand dans “Les pieds sur terre”, je parle d’une folle envie de me transformer en arbre. C’est d’ailleurs une invitation à partager cette sensation. 

Il y a un réel engagement environnemental et humain dans Hache-Paille. J’ai d’ailleurs un secret caché : avant de faire la musique j’étais gérante d’une SCOP de fabrication de couches lavables, donc là vous comprenez tout maintenant.

E : perso, j’aurai plutôt les idéaux en berne. La musique serait plus une diversion que l’expression d’un idéal, ou une façon de dénoncer deux ou trois trucs

L’année dernière vous aviez diffusé le single “Stop”.  aussi percutant que déroutant , sorte de road trip made in Morlaix où des Z’inhumains semblent avoir perdu le sens commun. Quelle était l’idée qui se cachait derrière la mise en scène ?

C : « Stop »  c’est le besoin du groupe, de se marrer, de voyager  ! En ayant commencé à poser les mots sur ce morceau, j’ai directement vu un groupe de potes sur le bas côté de la route à attendre une voiture qui ne s’arrête jamais, à cause de leurs tronches et leur attirail qui ne font pas confiance. Et ça c’est un truc qui m’énerve beaucoup le délit de faciès. Alors qu’ils sont si mignons ces gars. Je voyais plus une ambiance nocturne mais ça sera pour plus tard, dans un prochain clip. Le côté exclusivement masculin n’était pas voulu, mais les comédiens sont les membres de l’assoce tomate (qui font des films géniaux tous les ans, bourrés de poésie déglinguée) qui est une asso non-mixte. Je les aime quand même.
 

Vous commencez l’année 2023 en sortant “l’affût”. Je prend ça comme un signe, ou une recommandation, alors on va essayer de rester à l’affût de vos actus. Comment ça évolue pour vous, quoi de neuf dans les mois à venir ?

C : On commence à travailler avec un tourneur, on est prés-sélectionnés au FAIR, on va travailler notre live avec notre regard extérieur David Sander et on a plusieurs dates qui tombent en Bretagne et Pays de Loire (certaines sont encore secrètes), c’est vraiment top. Les SMAC locales nous soutiennent énormément alors ça nous donne très envie d’aller toujours plus loin.

 
E : oui, on a quelques dates qui se confirment en ce moment, plus un soutien radio qui commence à s’étoffer tant côté radios indépendantes que chez Radio France, n’hésitez pas à surveiller ce qui se passe sur les réseaux sociaux, il y a pas mal de choses qui arrivent…
 

Photo : (c) Guillaume CASTEL

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