“Godzilla vs Kong” d’Adam Wingard. Gare au Gorille!

Une immense affiche de 30 mètres de haut. Placardé solidement, un gorille géant hurle sa colère, les bras écartés et surplombe majestueusement le boulevard Poissonnière de Paris. Nous sommes en septembre 1976, ma mère me tient par la main et du haut de mes 5 ans, ma première rencontre avec King Kong est un choc. Je lève la tête et me tétanise. “Tu veux qu’on aille voir ça au cinéma ?”. Pétri de peur, je refuse cette invitation et, soulagé, nous nous orientons vers une comédie américaine (“Ambulances tous risques” de Peter Yates).
Printemps 2021. Les salles de cinéma respirent un peu. Annoncée, déprogrammée puis annulée, une suite à “Kong, Skull Island” et “Godzilla, King of Monsters” est, enfin, actée. Dire que l’attente se faisait ressentir est un euphémisme. Les précédentes aventures du lézard atomique et du gorille dans la brume ont généré des dividendes à faire pâlir un trader et le mélange “kaiju- gros joujoux” ravit aussi bien les parents nostalgiques de Spectreman que leurs progénitures. Fantasmatique à souhait, ce revival vintage d’un classique de 1962 (balbutié en post-générique de “King of Monsters”) fait, donc, saliver tous les geeks de la planète depuis une année plombée. Hélas, rebelote ! Le contexte pandémique en décide autrement et Warner distribue le film partiellement au niveau mondial.
Ainsi, alors que le long-métrage est un énorme carton au box-office chinois, le rendez-vous en terre européenne est tout bonnement effacé. Ailleurs, c’est l’anarchie. Courtisé préalablement par Netflix pour un contrat exclusif, ” Godzilla vs Kong” est diffusé en mars sur HBO Max puis dans la majeure partie des Etats-Unis, passant du statut de “film téléchargeable sur ton téléphone portable” à film à (très) grand spectacle.
Aujourd’hui ?
Plus de 400 millions de dollars de bénéfice et ce n’est pas fini. Signe des temps ou frilosité des distributeurs, ce duel au soleil déboule dans nos bacs DVD sans avoir connu la chance d’être projeté, dans notre hexagone, sur un écran surdimensionné.
C’est donc à la faveur d’un anniversaire que je reçois le sésame précieux de la part de mon fiston. 1976-2021. “Tu veux qu’on aille voir ça au cinéma ?”.Clin d’œil appuyé. D’une génération à l’autre, la boucle est bouclée.Attachons, donc, nos ceintures.


Le petit téléviseur s’allume. Visionnage. Absorption. Décorticage. Dissection.
Que penser, donc, de ce blockbuster où le thème de départ (un clash et puis c’est tout) s’apparente plus à un gadget qu’à une suite murement réfléchie ?Et bien, en dépit des critiques fielleuses, c’est une heureuse découverte !Certes, les protagonistes sont des clichés ambulants et leurs traits de caractère taillés à la serpe. Millie Bobby Brown tente de faire oublier sa prestation mutique de “Stranger Things” en incarnant une teenager rebelle et surdouée. Shun Oguri copie maladroitement l’acolyte de Peter Parker dans “Spider-Man Homecoming” et Brian Tyree Henry imite, sans conviction, Eddie Murphy. Kyle Chandler (dont j’avais déjà vanté la présence ectoplasmique dans une précédente chronique) cherche encore la sortie des studios, Rebecca Hall, bouche entrouverte, parodie la candeur d’une Shelley Duvall sous une pluie diluvienne et Alexander Skarsgard-en mercenaire badass- n’est définitivement pas Tom Hiddleston.Du point de vue scénaristique, ” Godzilla vs Kong” singe sans vergogne l’excellent “Rampage” de Brad Peyton. Même jungle synthétique en préambule, mêmes combats dantesques au final et mêmes ficelles transparentes tout du long, la figure héroïque communiquant avec un gigantesque hominidé via… la langue des signes !Enfin, nous sommes très loin de la “hargne” prégnante de “Kong Skull Island”, spectacle familial oblige. C’est d’autant plus triste qu’Adam Wingard, réalisateur inspiré du Survival “You’re Next” s’y connait en matière d’hécatombe jouissive et crasseuse. Simulacre ou jeu de massacre ? Pour l’environnement ultra-violent, les enfants, on repassera.  Ici, les personnages voyagent d’un hémisphère à l’autre sans que les dommages collatéraux (causés par les grosses bébêtes) ne les touchent. Pire, le trio d’ados-caution humoristique de ce long-métrage gonflé- semble totalement déconnecté de la trame principale, à savoir l’inéluctable baston entre Casimir et Méga Kiki.
Alors ? Qu’est ce qui me séduit autant dans cette suite ?
Son honnêteté.
Ici, on ne triche pas sur la marchandise. Vous voulez voir des bestioles qui s’écharpent, des immeubles s’effriter et de la panique à tous les étages ? Vous serez servi(e)s. Car “King Kong” ou “Godzilla” n’ont jamais été que cela. De la rage, du bruit et de la fureur atomique.
Pour emballer le tout, la réalisation est lisible et se drape d’une chatoyante photographie. Série B, mention encouragement du jury.
Enfin, l’hommage à “Jaws” et au bestiaire qui parsème l’univers du reptile radioactif prouve que notre movie-maker est un amoureux de la franchise et qu’il sait ménager ses effets de surprise.
De la baston, des grognements…”Godzilla vs Kong” n’est pas un grand film, c’est un film géant.
Monkey Business ? Je vous laisse en juger par vous-même.
C’est l’été. Un été masqué et bipé.
Prenez une claque dans votre salon autour d’une pizza. Montez le son d’un cran. Et en avant, Guingamp !Ce règlement de compte ne vous contente absolument pas ? Et bien, que vous soyez fans absolus ou amateurs du genre, je vous conseille vivement l’excellent ouvrage de Nocolas Deneschau et Thomas Giorgetti “L’apocalypse selon Godzilla: le Japon et ses monstres” aux éditions First Print .
Promis. Vous serez comblé(e)s!
Allez !
Et toutes et tous de reprendre la Mano Negra:”Standing alive, we’re the King Kong Five
Doing the King Kong jive on the Gabony boogie
What’s the matter with me? What’s the matter with me?
I’m playing like a-shaking under the coconut tree”
John Book.