Exposition “Anges et Démons” par Claudine Parra et Kriss Kolb à la Galerie “Amarrage” de Saint-Ouen. L’art et la Matière.

Une grande bâtisse. Un petit jardin jouxtant une cour intérieure. C’est au cœur du “vieux Saint-Ouen” (93) que Claudine Parra et Kriss Kolb- artistes, peintres et sculpteurs- me donnent rendez-vous afin de parler de leur dernière exposition “Anges et Démons”. Programmée du 29 septembre au 15 Octobre 2023 à la Galerie “Amarrage”, 88 rue des rosiers, non loin des Puces de Clignancourt, cette exposition gratuite prouve que l’on peut défendre un travail original et populaire sans renier une base classique. Cadavres, huile de moteur, pin-up, Aphrodite et Bacon. Bienvenue dans une longue discussion à bâtons rompus (autour de l’Art et la Vie), didactique, sensible et non dénuée d’humour !

John Book-Lust4Live: Bonjour, Claudine Parra, Bonjour Kriss Kolb. Vous allez exposer à la Galerie Amarrage, à Saint-Ouen, du 29 septembre au 15 Octobre… et c’est un évènement ! Avant de pénétrer dans l’antre du démon, est-ce que vous pourriez vous présenter ? Vos trajectoires. Vos inspirations ?
KrissKolb: Nous nous sommes connus aux Beaux-Arts de Saint-Ouen avec Claudine. Nous y pratiquons la sculpture. Et nous allons exposer dans un lieu assez vaste avec une “balance” entre nos deux univers.
Claudine Parra : Au départ, mon métier est illustratrice dans la Presse magazine. Publicité, etc…Mais mon Grand Amour, c’est la sculpture. A Saint-Ouen, Kriss Kolb et moi-même avons eu la chance d’avoir un professeur épatant (Jacques Canonici) il y a de cela un certain temps.

John Book: Claudine, tu viens à la base du dessin. Quel fut le déclic pour le dessin puis la sculpture?
Claudine Parra: J’ai toujours dessiné depuis que je suis enfant. En Mai 68, j’ai travaillé pour une revue, un magazine qui, vu le contexte social, s’est cassé la figure, puis j’ai décidé de me mettre à mon compte.

John Book: Déjà illustratrice en Mai 68?

Claudine Parra: Ho oui! Puis j’ai continué dans les agences mais j’avais toujours envie de me mettre à la sculpture. C’est une passion inexplicable. Donc, cours à Saint-Ouen puis Kriss est arrivé. Tu peux dater, Kriss?
Kriss Kolb: Euh, non! (Rires) Dans les années 80…Pour ma part, pour revenir à ta première question, j’ai fait l’école d’Arts appliqués Duperré comme Claudine. L’école de Claudine était située à Pigalle et moi rue Dupetit- Thouars. Puis, l’école est devenue mixte…On était plus orienté dans l’industrie publicitaire que dans les Beaux-Arts. Je suis devenu prof de dessin en parallèle tout en m’inscrivant, finalement, aux Beaux-Arts. Je voulais appréhender la Peinture. Et puis, je suis arrivé au “bout du bout”. Je ne savais plus trop quoi faire. Sur mes toiles, je faisais des collages en relief, avec du papier, du volume et cela m’a aiguillé vers la sculpture.
Claudine Parra: Et depuis ce cours, nous sommes restés amis.


John Book: Vos inspirations?
Kriss Kolb: J’ai un univers assez sombre. Proche du cauchemar, donc Bacon, Hans Giger, des artistes tourmentés. Je les adapte à ma sauce, j’essaye d’être personnel… mais tout ceci se voit peut-être?
J’aime le fantastique, une ambiance nocturne, sombre, vampirique…
Claudine Parra: Je voulais mettre en volume mes illustrations. J’ai eu une commande de “VEEDOL”. C’est de l’huile pour les camionneurs. Il y avait une pin-up détourée en tôle et collée sur leurs véhicules. J’ai fait un concours. La pin-up était sur des patins à glace car les concepteurs se vantaient de faire démarrer les moteurs, via VEEDOL, en plein gel! Donc, aidée de mon prof, j’effectue une sculpture et ce fut le coup de foudre pour cette mise en forme. En revanche, je ne vois pas d’influences…
Kriss Kolb: Tes sculptures sont proches de tes dessins.
Claudine Parra: Oui, c’est aérien.

John Book: J’ai pensé à la “ligne clair”…Je me trompe ?
Claudine Parra: J’aime les choses bien dessinées ! Mon prof m’orienta, d’ailleurs, vers des croquis à faire de la main gauche. Je suis droitière ! Et sous mes yeux, alors que je croquais une femme, des Vénus sont nées, des formes énormes ! Ce fut l’escalade. Des sculptures en terre, des fils de fer, des croquis non-stop, je fus désinhibée. Le volume, enfin!

 



John Book: Tous deux, vous connaissiez le travail de l’autre?
Claudine Parra: Il y a déjà eu des collaborations…
Kriss Kolb: ...via une association. On exposait dans des lieux publics et gratuits dans Saint-Ouen. L’association se nommait “Art-Act”. Pour reprendre ton expérience, Claudine, j’ai essayé le dessin automatique, on laisse courir sa main de manière indépendante, concentrique, en spirale. Je pratiquais ceci sur des dessins préexistants, par-dessus des photos, en l’effaçant ou en la soulignant. De l’abstrait sur du concret. C’est incontrôlé. Ou presque. Le but, c’est d’avoir ce détachement tout en étant objectif. Là, on tombe vraiment dans le fantastique ! (rires). Cela peut marcher avec des modèles vivants, il y a des parties que j’efface sans trop savoir où je vais.

John Book: Comme Jackson Pollock?
Kriss Kolb: Oui, mais je suis plus réaliste ! Et parfois, c’est étrange, mes photos deviennent des sculptures…Certaines parties sont exagérées, d’autres pas.
Claudine Parra: Après mes Vénus, je me suis, aussi, tournée vers “le geste primitif”…Je prenais un morceau de terre et j’imaginais être une femme il y a des millions d’années. Qui souhaitait sculpter une femme. Et je sculptais comme cela, à l’instinct. Sont nées des Vénus primitives, brutes,…On pioche dans la “poubelle terre”, de la terre récupérée. J’adore ! J’ai fait aussi des têtes de personnes. J’ai nommé cette série “cris et chuchotements” car si on les met côte à côte, on a l’impression qu’elles se parlent. Vous les verrez dans l’exposition.

John Book: Quand on vous écoute, on a l’impression qu’il y a une grande forme de jeu, c’est très ludique…
Claudine Parra: Ha oui, on s’amuse beaucoup!
Kriss Kolb: Il y a des peintres qui aiment ce qui est très construit, très cérébral. D’autres sont plus spontanés et il y a toute la gamme entre les deux. Par exemple, il nous arrive, tous deux, de travailler avec du papier.
Claudine Parra: On moulait la sculpture avec du plâtre mais cela reste lourd. Avec le papier… On peut tout faire! C’est tellement léger.
Kriss Kolb: On peut se servir du papier journal et des décorations inscrites à l’intérieur…
Claudine Parra: Tu fais une cuisine, parfois… (Rires). Pour ma part, j’ai fait des bustes de femmes célèbres. J’en ai même accroché au plafond lors d’une exposition. C’était inattendu. Des bustes apparemment lourds en suspension. Lors de mes commandes lorsque je dessinais, on me dictait les choses. En sculpture, c’est la liberté. Je ne m’interdis rien.

John Book: Comment travaillez-vous? En musique? En silence? Dans quelles conditions?
Kriss Kolb: Je fais une digression. Pour être sincère, les œuvres présentées pour “Anges et Démons” sont liées à plusieurs époques. Le choix s’est fait sur de multiples œuvres, ce n’est pas une “commande”…
Claudine Parra: Et tu as voulu, Kriss que je sois dans cette aventure car tu as constaté que, via cette thématique, nos productions pouvaient se mêler.


John Book: Donc, les Anges sont pour Claudine et tu prends les Démons?
Claudine Parra : Je ne les sens pas les Démons…Oui, c’est comme ça. Pour revenir à ma méthode et à ta question, je travaille en silence avec le bruit du cours de sculpture. C’est un grand espace. J’ai un mari qui est guitariste rock et j’ai la tête farcie de sons, donc, silence! (rires) Je suis ailleurs, de toutes façons, je me déconnecte. Sans oublier d’épauler mes camarades.

Kriss Kolb: A l’atelier, j’ai des écouteurs et c’est toujours en musique. Musique répétitive et très hypnotique. J’ai aussi mon bureau où je fais des petits formats. Suivant l’humeur, j’écoute du stoner.
J’aime Van der Graaf Generator, Samsara Blues Experiment…

John Book: Si je devais définir votre univers en un seul mot, ce serait la “chair” pour Kriss Kolb et pour Claudine, ce serait plus une affaire de “charme”, à savoir quelque chose de charmant mais, aussi, d’envoutant. Selon moi, vos univers sont liés par une forme d’élégance brute et aérienne. C’est ce qui nous attend le 29 Septembre à la Galerie Amarrage?
Claudine Parra: Question matière, il y aura tout! La Totale ! Terre cuite, plâtre patiné, papier, fil de fer, cadres, croquis !
Kriss Kolb: Et il y aura des tirages, des bas-reliefs, je m’explique: on fait un buste en terre et par-dessus, on fait un moule en Vinamold, une sorte d’élastomère, et cela se retire très facilement. Dans ce moulage, on verse du plâtre comme du Mako-moulage…pour ceux qui s’en souviennent (rires). C’est un tirage très fidèle. La terre d’origine est impeccable et je la duplique en essayant autre chose. J’ai fait une Eve issue d’un Homme…très symbolique! (rires) J’ai aussi une Lilith avec des liens, des cordes…Je peux y ajouter des collages. Une idée en entraine toujours une autre.
Claudine Parra: J’ai une mémoire visuelle que je ne soupçonnais pas. J’ai croisé un homme en Turquie et de retour à l’hôtel, je l’ai croqué de mémoire. Idem lorsque je suis sur la ligne 13 du métro (reliant Saint-Denis au sud de Paris), j’essaye de ne pas gêner les sujets. Je regarde par la fenêtre du métro dans le reflet et je les observe. Cela m’a beaucoup aidé dans mon travail. J’ai aussi créé 13 personnages que j’ai appelé “Ligne 13” mais ces derniers ne seront pas exposés, en revanche d’autre croquis, oui…

John Book: Pour cette expo, Duo ou Duel? Les œuvres se feront face ou pas? D’un côté Claudine et de l’autre Kriss?
Kriss Kolb: Rien n’est encore déterminé. Cela dépendra de l’éclairage, il y a des poutres au plafond dont on va se servir, il y a des œuvres à terre. Ce ne sera pas une réponse formelle. Ce sera mélangé, quoi qu’il en soit…


John Book: Vous avez invité Rawdog pour le vernissage. Pourquoi? Est-ce une attitude rock n’ roll que vous auriez face à un type d’establishment?
Kriss Kolb: Quel grand mot! Ce lieu se prête à un concert de rock, nous sommes aux Puces, un lieu vivant. Et Amarrage s’étant associé à ‘Graf’Art”, ils possèdent une cour intérieure où leur son surpuissant pourra s’épanouir. Bref, on mise sur le fait qu’il fasse beau!
Et s’il pleut, on se repliera à côté. Concernant RAWDOG, je les ai découverts à Mains d’Œuvres et j’ai trouvé cela formidable. Audrey est une incroyable batteuse…Enfin, quand je dis batteuse, on pense à une batteuse agricole mais son jeu n’a rien d’agricole ! J’ai aimé leur façon de concevoir leur duo guitare/batterie. Et la batterie est vraiment une partition en elle-même. Je pense à Pete Townshen des Who, aux Dressden Dolls. En live, Audrey livre une exhibition incroyable de son talent. Leur duo est vraiment fort. La guitare de Mike répond au jeu de batterie d’Audrey de façon très pertinente.

John Book: Vous êtes attachés au mélange des cultures et des genres?
Kriss Kolb: C’est naturel d’avoir du son derrière les sculptures. On songe régulièrement à une mise en scène, une scénographie… car on veut raconter une histoire avec nos productions. Avoir RAWDOG en bande son, cela produira un voyage idéal.

John Book: Des surprises?
Kriss Kolb: Avoir plein de monde ! (rires) On n’a rien disposé encore. Trop? Pas assez? C’est l’inconnu dans notre installation avec Claudine. Réviser nos choix. Sans doute? La grande surprise, ce fut aussi de redécouvrir certains tableaux, certaines formes, abimés par le temps! Imagine le travail de restauration! Un temps fou. Certaines peintures se sont collées ensemble. Le vernis, la toile de verre, ce fut coton.
Claudine Parra: Mes œuvres, pour ma part, sont sauvegardées. Mais, parfois, on ne sait jamais!
Kriss Kolb: Pour l’anecdote, j’ai visité la cave du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Certaines œuvres sont dans un état. Et, donc, il y avait deux baskets qui trainaient. Ils n’osent pas les jeter car ils ne savent pas si cela fait partie d’une œuvre démontée ou un peintre qui aurait oublié ses pompes! (rires)

John Book: Mince ! C’était peut-être les baskets de Basquiat!?

Claudine Parra: Haha ! Tu imagines un peu? (rires)

John Book: Pour terminer, c’est une exposition populaire ou pas?
Kriss Kolb: Classique mais pas inscrite dans des clichés attendus… On fait appel à l’Antiquité, aux Dieux primitifs. C’est une narration qui s’ancre dans une forme de tradition. A nous de trouver un moyen original d’exprimer cela. On ne cesse de chercher, d’explorer, on tente, c’est très mouvant.
Claudine Parra: Mais nous avons collé aux Anges et aux Démons!

John Book: Pour clore, une œuvre exposée que vous aimez particulièrement ?
Claudine Parra: J’adore mon Aphrodite, énorme, 1 mètre 20 sur 1 mètre 20!
Kriss Kolb: J’ai un petit faible pour mes deux cadavres (rires). Ce sont deux momies avec une volonté réaliste. Elles sont recroquevillées et protègent un bébé à Pompéi, par exemple. Elles sont indépendantes mais on peut les marier ensemble. On peut y voir symboliquement un bombardement ukrainien ou l’Antiquité.
Claudine Parra: Mes Vénus seront absentes. Quoi que. Nous verrons bien…
Tout est permis!

 

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