Dire adieu revient à traverser un vertige. C’est un geste à la fois fragile et fort, qui condense l’intensité d’une époque tout en ouvrant une brèche vers l’inconnu. Avec Adult Romantix, Samira Winter transforme cette expérience liminale en matière sonore. L’album se présente comme une lettre d’adieu à Los Angeles, mais surtout comme une méditation sur la mémoire, le désir et la métamorphose.
Dès les premières mesures, les guitares se déploient en tourbillons irisés, irradiant une chaleur presque tangible, tandis que des voix spectrales, tantôt éthérées, tantôt assombries par des traitements électroniques, dessinent un voile hypnotique. Les breakbeats glacés y introduisent une tension souterraine : fracture discrète, rappel que l’extase solaire ne peut se dissocier de la mélancolie qu’elle suscite. L’album ne cesse d’osciller entre ces deux pôles, l’euphorie insouciante et la gravité du manque, dans une dramaturgie subtile qui fait toute sa force.
L’architecture mélodique convoque un vaste spectre d’influences, alliant la limpidité jangly et sucrée des orfèvres de Sarah Records, la rugosité électrique, presque orageuse, d’un Sonic Youth période Rather Ripped, l’acoustique ombrageuse d’Elliott Smith, portée par une sincérité désarmante, et les miroitements électroniques de Dean Blunt, où l’opacité se confond avec l’évidence.
À cela s’ajoute une fidélité au shoegaze californien (Further, Starflyer 59), dont Winter réactive la lumière crépusculaire. Ainsi, chaque morceau agit tel un fragment mémoriel, une relique sonore façonnée par l’exil à venir. “In My Basement Room” élève le souvenir d’un lieu domestique à la dignité du mythe, “Hide-a-Lullaby” instaure un dialogue chuchoté où l’intimité devient incantation, tandis que “Candy #9” ou “Without You”, chantés en portugais, renouent avec les racines brésiliennes de l’artiste et rappellent que la mémoire n’est jamais univoque mais polyphonique.
Si What Kind of Blue Are You ? constituait une plongée cathartique dans l’ombre intérieure, Adult Romantix se veut une traversée lumineuse, hantée par les fantômes bienveillants de la nostalgie. Samira Winter y confronte la dualité de la jeunesse : d’un côté, la ferveur quasi naïve de l’amour déclaré « Love’s never gonna die », de l’autre, la lucidité mélancolique de l’irréversible. La tension n’est pas contradiction, mais vérité vécue : la jeunesse est à la fois démesure et légèreté, drame et insouciance.
Adult Romantix est moins une conclusion qu’un acte de préservation qui désire conserver l’éclat fugace d’un instant, l’éterniser en vibration, en couleur sonore. Comme un ciel de fin d’été dont l’ardeur décline mais dont les nuances, inscrites dans la rétine, continuent de brûler longtemps après le crépuscule.
Laissez-vous envelopper par cette œuvre, dansez dans ses ombres comme dans ses lumières. Adult Romantix une invitation à éprouver l’intemporel au cœur même de l’éphémère.