[Chronique] The Last Dinner Party – « From The Pyre »

S’il y a bien une certitude avec The Last Dinner Party, c’est leur indéfectible aplomb un aplomb qui n’a rien d’arrogant, mais qui ressemble plutôt à une tranquille certitude : celle de savoir exactement où elles vont, ensemble. Fortes du raz-de-marée provoqué par Prelude To Ecstasy, premier album couronné de succès et auréolé d’une nomination au Mercury Prize, les cinq Londoniennes auraient pu savourer leur triomphe, ralentir le rythme, prendre le temps de respirer. Mais c’est mal connaître le groupe : à peine un an et demi plus tard, elles reviennent avec From The Pyre, un second album incandescent, habité, et déjà prêt à embraser à nouveau la scène britannique.

Ce disque, c’est un peu comme si le groupe avait attrapé la foudre lors de sa première tournée, et qu’il refusait désormais de la laisser s’éteindre. On y retrouve tout ce qui a fait la force de Prelude To Ecstasy la voix souveraine d’Abigail Morris, les riffs flamboyants d’Emily Roberts, la théâtralité assumée mais en version mûrie, affinée, presque jubilatoire. L’ensemble évoque une rencontre imaginaire entre Sparks et Queen, sous l’œil bienveillant de Kate Bush, mais The Last Dinner Party ne se contente jamais d’imiter : elles réinventent.

Dès l’ouverture, « Agnus Dei » donne le ton. C’est une entrée en matière grandiose, un hymne d’apocalypse chanté avec une joie féroce, comme si le chaos pouvait aussi être une fête. Morris, dans un mélange irrésistible de sarcasme et d’éclat, y proclame son amour des fins du monde, tandis que le groupe entier semble pousser vers l’ascension. Le producteur Markus Dravs, quant à lui, laisse ici un peu de côté la théâtralité pour recentrer la musique autour d’une pop pleine d’élan, nette, irrésistible.

Et de la pop irrésistible, From The Pyre en regorge. « Count The Ways » fonce droit au but : riff musclé, tempo nerveux, refrain taillé pour tournoyer dans la tête pendant des jours. « Second Best » déploie une énergie quasi contagieuse, avec un éclat choral qui rappelle les Sparks des grandes heures, sans jamais perdre la finesse mélodique qui distingue le groupe.

La deuxième moitié du disque adopte une respiration nouvelle, plus intérieure, sans perdre en intensité. « Women In A Tree » brille par ses vocalises spectrales et une batterie qui bat comme un cœur inquiet. « Sail Away », délicate ballade piano-voix, apporte un moment de douceur inattendue, comme un refuge au milieu d’un album souvent flamboyant. Puis vient « Rifle », exercice de tension savamment maîtrisé : une chanson qui semble retenir sa propre explosion avant de la libérer dans un souffle cathartique et où le groupe s’offre même un couplet en français, clin d’œil charmant et gratuit, juste pour le goût du jeu.

Au-delà de leur ambition sonore, c’est dans les mots que The Last Dinner Party marque véritablement les esprits. Abigail Morris manie la plume comme d’autres manient l’épée : précision, mordant, élégance. Sur « This Is The Killer Speaking », elle transforme une déception amoureuse en tirade jubilatoire, alignant des images à la fois drôles, cruelles et inoubliables. Quant à « Inferno », titre de clôture au folk-rock virevoltant, il s’ouvre sur un vers aussi déconcertant que poétique  « Je suis Jésus-Christ, je me balance dans une galerie en France » avant d’enchaîner sur une série de réflexions pleines d’ironie sur la lâcheté et ses atours.

On peut d’ores et déjà parier que nombre de ces phrases finiront en tatouages, en légendes Instagram, en cris du cœur repris par les fans. On peut aussi parier que les critiques habituelles celles qui accusent certains groupes d’être « fabriqués », souvent ironiquement pour les formations féminines referont surface. Mais From The Pyre balaie ces procès d’intention d’un revers de manche élégant : c’est l’album d’un groupe qui sait ce qu’il fait, qui croit en sa vision, et qui avance avec une assurance rare.

The Last Dinner Party n’a pas seulement franchi l’épreuve du deuxième album : elles l’ont retournée comme un gant, puis l’ont portée en étendard. Avec From The Pyre, elles confirment qu’elles sont l’un des groupes les plus enthousiasmants de leur génération non pas parce qu’elles cherchent à « être » quelque chose, mais parce qu’elles osent tout simplement être elles-mêmes.