Avec Rainy Sunday Afternoon, Neil Hannon signe son disque le plus intime, et sans doute son plus bouleversant, depuis longtemps. Loin des clins d’œil enjoués et de la pop éclatante de ses hymnes passés on pense naturellement à « National Express » ou à l’adorable chronique sociale de A Short Album About Love – ce treizième album studio explore un territoire plus nuancé, plus fragile. C’est un disque où l’ironie polie laisse régulièrement place au tremblement.
Hannon a toujours su manier les arrangements orchestraux avec une élégance toute brit-pop, mais ici, grâce au travail lumineux d’Andrew Skeet, les cordes ne servent pas uniquement à enjoliver : elles portent, elles dévoilent. Un simple instrumental comme « Can’t Let Go » suffit à prouver à quel point la retenue peut devenir poignante lorsqu’elle est parfaitement maîtrisée.
Dès l’ouverture, « Achilles » pose le ton : un regard sur la mortalité, inspiré d’un poème de Patrick Shaw-Stewart. La grandeur mélodique se heurte à l’humilité du texte, comme si la pop, en s’élevant, ne pouvait que mieux souligner la vulnérabilité de l’âme humaine. Une chanson qui, inévitablement, résonne chez quiconque a vu le temps accélérer.
Cette réflexion se fait plus intime encore sur « The Last Time I Saw The Old Man ». Hannon y évoque la disparition progressive de son père, rongé par Alzheimer. Pas de pathos : juste une délicatesse presque douloureuse, un regard posé sur des mains devenues trop légères. C’est l’un de ces moments où la musique arrête le temps.
L’album n’est pourtant pas que recueillement. L’humour pince-sans-rire de Hannon est bien vivant : « The Man Who Turned Into A Chair » en est l’exemple le plus tendre, tandis que « Mar-A-Lago By The Sea » manie la satire avec une subtilité réjouissante. Plutôt qu’une charge frontale, Hannon choisit le sourire ironique ce qui, paradoxalement, touche plus juste.
Le monde contemporain n’est pas épargné : « Down The Rabbit Hole » dénonce l’ère de la certitude agressive et de la pensée simplifiée. Et le morceau-titre revient sur le temps suspendu du confinement, ce moment où chacun a été ramené à soi-même, parfois malgré soi.
Pourtant, c’est dans les chansons d’amour que l’album trouve sa grâce la plus lumineuse. « The Heart Is a Lonely Hunter » et l’émouvante chanson de clôture, « Invisible Thread », touchent à quelque chose de rare : l’amour qui grandit, change, se transmet. Quand la voix de sa fille Willow se joint à la sienne, l’instant est d’une pureté presque déstabilisante.
Au final, Rainy Sunday Afternoon n’est pas seulement un retour inspiré. C’est un album qui regarde la vie dans les yeux : ses absences, ses petites joies, ses renoncements, ses fidélités. L’humour est toujours là, les orchestrations aussi, mais quelque chose a gagné en profondeur et en vérité.
Un disque superbement humain, et le plus beau que Neil Hannon nous ait offert depuis longtemps.



