[Chronique] Shame – « Cutthroat »

On les a trop souvent réduits à des clichés du punks énervés aux racines sud-londoniennes, ou dans des comparaisons paresseuses deFontaines D.C. et Fat White Family, portant, Shame, depuis déjà un moment, refuse de se laisser enfermer dans une case trop petite. Avec « Cutthroat », leur nouvel album produit par le magicien John Congleton (Grammy en poche), les cinq Britanniques prennent un virage décisif : fini l’étiquette, place à une œuvre pleinement décomplexée, qui assume ses explorations et ses failles.

Shame balance un disque uppercut euphorisant, plein d’hymnes taillés pour la scène, bourré d’une énergie quasi juvénile et où le charismatique Charlie Steen se pavane comme s’il dansait sur le fil du rasoir. L’exaltation est immédiate, viscérale. Pas besoin de trop chercher l’analyse, il suffit de se laisser happer. C’est brut, fun, bruyant, exactement ce qu’on attend… et bien plus que ça.

Car si Cutthroat garde les angles saillants et l’humour noir qui ont fait la force du groupe, il se permet aussi des détours inattendus. Entre deux charges punk incontrôlables « Nothing Better, Plaster« , Shame s’essaie à l’americana crasseuse « Quiet Life« , au sway country désabusé « Spartak » ou encore à une sorte de rockabilly fantomatique qui évoque The Cramps. Un cocktail audacieux qui ne sonne jamais opportuniste tant les bifurcations respirent la nécessités, comme si le groupe cherchait à réinventer goût pour la fièvre.

Et l’urgence demeure leur meilleur vecteur. « Cowards Around«  en est la preuve vibrante, éclatante. Du pur venin, où Charlie Steen crache sa bile contre les politiques, culturistes over protéiné, et autres égoïstes egocentrique… 100% rageur et diablement efficace. Le Shame qu’on aime, abrasif.

Mais là où l’album surprend, c’est dans ses instants de vulnérabilité. qui laisse parfois tomber le masque de la posture pour chanter avec une sincérité émouvante, qui touche dans le mille de la fureur ambiante. Quand la guitare s’étire sur « Screwdriver » ou encore mieux « To and Fro », c’est tout un monde de tension électrique qui se déploie, prêt à éclater à chaque secondes.

Au final, Cutthroat est une démonstration de vitalité. Un disque qui fonce tête baissée, à bout de souffle, au bord du gouffre mais qui trouve toujours une ultime dose d’adrénaline pour dépasser ses limites. Shame y dévoile un spectre plus large, flirtant avec l’expérimental sans renoncer à la sauvagerie. Ils ne cherchent pas à rassurer, encore moins à séduire : ils avancent, implacables, laissant derrière eux les comparaisons trop faciles.

Un album téméraire, brûlant, jouissif. Shame ne ralentit pas. Et c’est tant mieux : qui a envie de lever le pied quand la course est aussi excitante ?