Sept ans après leur premier album éponyme sorti chez Sub Pop, les membres d’un des groupes les plus discrets mais essentiels de l’indie rock américain reviennent — ou plutôt, réapparaissent — avec The Longer This Goes On, un album aussi dense qu’introspectif, un disque d’épure et de maturité qui respire à son propre rythme sans cavalcade.
À l’image de leur déclaration d’intention — “Nous ne sommes pas de retour” — cet album n’a rien du comeback nostalgique. Il est le fruit d’une réunion sans pression, d’un besoin de création sans ambition autre que celle de faire exister de belles chansons, fragiles, brûlantes. Dix titres capturés dans leur forme la plus instinctive, sous la houlette du producteur Dan Howard, entre les murs feutrés de Chateau Grand Studios et Future Sounds à New York. Le mix et mastering d’Al Carlson au Gary’s Electric parachèvent l’ensemble avec une clarté discrète mais organique.
Et quelle beauté dans cette discrétion. Le single « Bluff », dévoilé avec un clip animé conçu par Ben Guterl lui-même, incarne parfaitement cette alchimie suspendue. Ava Trilling, toujours aussi magnétique, pose sa voix telle une caresse amère sur une ligne mélodique qui vacille, qui chavire, abandon et persistance. Il y a chez elle une manière unique de faire affleurer le sentiment sans trop en dire, de le laisser se déployer au creux des silences une délicatesse ivre de beauté. Le morceau s’étire, se replie, puis s’éteint, comme une confidence qu’on ne termine pas.
L’album s’ouvre sur To Know Me/To Love Me, ballade en clair-obscur déjà dévoilée via Bandcamp, et enchaîne avec 7 Months, son clip officiel vertigineux, presque onirique, comme un souvenir qui floute les contours du présent. Loin de céder à la tentation du sur-arrangement, Forth Wanderers privilégie ici l’espace et le souffle. Guitares cristallines, batteries souples, touches électroniques discrètes… tout converge vers une forme de spleen maîtrisé, presque doux, qui rappelle que le romantisme peut aussi naître de l’ennui, du flottement, de l’ambivalence.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : The Longer This Goes On est une traversée émotionnelle où l’ennui n’est pas un vide, mais un terrain fertile. Celui d’une génération qui ne cherche plus à hurler mais à comprendre, qui préfère le trouble à la certitude. Chaque titre semble suspendu, comme si le groupe enregistrait en s’écoutant respirer, en capturant l’éphémère avec une tendresse inédite.
En refusant les projecteurs du “retour”, Forth Wanderers signe ici son disque le plus sincère, le plus fluide, et sans doute le plus abouti. Il y a quelque chose de profondément rassurant dans cette musique qui ne cherche ni à convaincre ni à reconquérir. Simplement à être. À durer, à murmurer, à errer — comme un écho fidèle à son titre : The Longer This Goes On.
Un album comme un refus de l’instantané, une ode au temps long, à l’intimité retrouvée. Une œuvre discrète mais essentielle, à savourer les yeux fermés, le cœur entrouvert.
– par Lust4live
Photo de couv. (c) DR