[Chronique] Drama King – « Mud & Concrete »

Avec « Mud & Concrete », Kevin Gourdin, sous l’alias de Drama King, livre une première œuvre intimiste, dense et puissante, fouillant la matière obscure de l’âme contemporaine avec finesse. Il s’érige d’emblée comme une œuvre à la beauté singulière, alliant le dépouillement d’un songwriting habité à l’élégance austère d’une orchestration rock ciselée.

Difficile de parler de ce disque sans avoir le sentiment d’en dire trop, au risque d’en gâcher la beauté absolue. Par quoi commencer, sinon par l’atmosphère saisissante, pesante parfois, traversée de lumière émotionnelle hautement sensible où la voix de Kevin Gourdin, (ex-The Decline) grave, éraillée, joue le rôle d’un guide vulnérable, presque spectrale, égrenant les douleurs de l’existence avec une pudeur bouleversante. Il y a bien sûr l’héritage de figures tutélaires telles que Nick Cave, Mark Lanegan ou encore Leonard Cohen qui saute aux oreilles et nous submerge presque malgré nous. Il y a aussi cette patte, ce style, qui se distingue, nourrie autant par les errances du folk noir américain que par la rigueur mélodique d’un post-rock charmeur.

Enregistré en quatre jours dans le huis clos d’un studio rennais, l’album surprend par la richesse de ses arrangements, où chaque note semble pesée, déposée avec une gravité bluffante. Les 8 morceaux s’enchaînent dans une sorte de road movie mélancolique, « Broken Wings« , « Silent Homes » et « Brown & Grey » s’imposent en hits. Solitudes, douleurs, luttes et colères : le propos narratif, éminemment personnel, grandement cinématographique, n’en demeure pas moins universel, toujours sous le prisme d’une humanité lucide, parfois à la limite du désespoir, jamais cynique.

Ce qui frappe dans cet opus, au-delà de sa cohérence sonore, c’est l’honnêteté dramatique expressive, mise en perspective, à vif, d’un homme qui interroge la noirceur charbonneuse de notre époque à travers ses propres failles. Écoute après écoute, le disque nous happe plus profondément dans un univers intrigant, comme si nous étions face aux pages froissées d’un journal intime, un recueil de poésie noire qui nous charme à voix basse, fantomatique, par ces battements de cœur suspendu dans l’obscurité. Difficile d’en sortir indemne.

Mud & Concrete s’impose comme un premier opus d’une grande maturité, porté par une sensibilité à fleur de peau et une exigence remarquable, plein de résonance et d’une beauté, fatale, absolue.

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Photo de couv. Grégory Perrochon