[Chronique Ciné] « La Rue » de Jerry Schatzberg. Le Blues sur le trottoir.

 
Le deal fut simple. « OK, je signe pour un 4ème épisode de « Superman » avec vous, à condition que je puisse jouer dans un autre film plus « adulte ». Et j’ai justement un scénario qui m’intéresse sous la main ! ». Telles furent, certainement, les paroles prononcées par Christopher Reeve à la signature d’un contrat avec les nouveaux nababs d’Hollywood en 1986. A savoir : Menahem Golan et Yoram Globus, cousins dans la vie et propriétaires de la société de production « Cannon ». La « Cannon » ? Si les blockbusters des 80’s ont bercé votre adolescence, vous connaissez cette firme portée sur le film d’action qui tâche.  « Le justicier de Minuit » avec le regretté et bur(i)né Charles Bronson, « Portés Disparus » et surtout l’invraisemblable « Invasion USA » avec Chuck Norris, le ninja pour les Nuls avec « American Warrior » et Michael Dudikoff dans le rôle-titre, le survolté « LifeForce » de Tobe Hooper (Mathilda May, à poil, tout le temps), « Over the Top » et l’impeccable « Cobra » avec Stallone ou encore « Highlander » avec notre Lambert national. La « Cannon » avait pour mot d’ordre de damer le pion à toute production indienne en matière d’effervescence et de sorties non-stop. Quitte à en faire dans la surenchère et la crédibilité zéro. Ainsi, les projets (et leurs succès) varièrent au gré des réalisateurs employés et des scénarios exploités. Jusqu’à la faute (de goût) de trop : « Superman 4, The Quest for Peace ». Mais revenons à notre sujet initial. Le mystérieux « premier jet » que Mr Reeve projette de voir porté à l’écran s’intitule « Street Smart » et relate l’histoire d’un mensonge. Un journaliste, peinant à infiltrer les réseaux de la prostitution (afin d’interviewer un proxénète sur son quotidien) invente un échange de toutes pièces ! Histoire vraie et article à sensation lors de sa parution, l’auteur (David Freeman, le scénariste de « Street Smart »?) sortira, finalement, du « bois » et révélera la supercherie. Ce personnage, Christopher Reeve en rêve. C’est l’occasion, pour l’inoubliable « Man of Steel », de montrer l’étendue de son talent et, surtout, un aspect plus sombre de sa personnalité. L’hypnotique « Quelque part dans le temps » de Jeannot Szwarc en atteste. Notre sculptural new-yorkais est un acteur accompli. La « Cannon » se montre plutôt favorable, alternant souvent grosses machines et films d’auteurs sélectionnés au festival de Cannes ( » Maria’s Lovers » d’Andreï Kontchalovski, « Fool for Love » de Robert Altman ou, encore, « Barfly » de Barbet Schroeder). « La Rue » se monte rapidement, un réalisateur de talent est approché (Jerry Schatzberg, heureux papa de « Panique à Needle Park » et « L’épouvantail ») et le tournage se dessine au Canada, pour des questions budgétaires. Autour de notre protagoniste, un trio parfait : Kathy Baker, impressionnante en prostituée au cœur tendre, Mimi Rogers, toute de sobriété contenue en compagne esseulée de Jonathan Fisher et Morgan Freeman dans son premier « grand » rôle en tant que second couteau. Ce dernier fait grande impression sur le plateau et donne tout ce qu’il a. A 50 ans, cette immense figure hollywoodienne n’en est qu’à ses balbutiements. « La Rue » est l’occasion pour lui de marquer les esprits.
Au final, il remportera son premier Golden Globe, en 1988, pour son incarnation nuancée et mémorable de « Fast Black ».
J’avais loupé le coche lors de la sortie (sacrifiée) de ce bijou, en salles. Son apparition en DVD chez BQHL est un petit évènement en soi, tant la galette et son boitier regorgent de bonus, making-of, dissection du long-métrage par un brillant journaliste et d’un livret fort bien composé. J’aborderai le cas « Superman 4″ pour une autre chronique. Pour l’heure, no spoils sur cette descente aux Enfers, orchestrée avec ferveur et sublimée par l' »acting » d’une distribution royale.
Je vous laisse le bonheur de la découverte mais y ajoute une annotation :
Dans cette dé-Reeve urbaine, Christopher y excelle comme jamais.
 
John Book.