[Chronique] Billy Nomates – « Metalhorse »

Il y a quelque chose d’indomptable et d’indescriptible chez Billy Nomates. Peut-être dû à cette tension brute, qui transperce chacun de ses disques depuis ses débuts ou alors ce charisme animal, félin, qu’elle semble cultiver année après année avec une singularité infini. Avec Metalhorse, son troisième album studio, la musicienne britannique confirme non seulement son statut d’artiste singulière dans la scène post-punk/indie, mais amorce aussi une mue artistique poignante.

Originaire de Leicester, Billy Nomates aka Tor Maries a fait irruption dans le paysage musical avec un premier album éponyme en 2020. Fait maison, autoproduit, ce disque est un magnifique manifeste d’indépendance. Armée d’une boîte à rythmes, d’un synthé rudimentaire et de sa voix, elle dressait un portrait rageur du quotidien, du capitalisme et de l’aliénation sociale. Elle y revendiquait sa solitude comme une force : “nomates”, c’est celle qui n’a pas besoin d’amis pour exister.

Son deuxième album, Cacti (2023), affinait ce ton frontal. Plus mélodique, plus accessible, il laissait filtrer une vulnérabilité nouvelle derrière les punchlines ironiques. L’influence de PJ Harvey et de Sleaford Mods restait palpable, mais Maries commençait à dessiner sa propre voie : moins dans la réaction, plus dans l’introspection.

Avec Metalhorse, Billy Nomates passe un cap. Elle abandonne les machines froides et les rythmes mécaniques pour s’entourer, pour la première fois, d’un véritable groupe en studio. Mandy Clarke à la basse (KT Tunstall, The Go ! Team), Liam Chapman (Rozi Plain, BMX Bandits) à la batterie, une production cosignée avec James Trevascus : le son devient organique, charnel. On passe du cri punk solitaire au chant folk blues d’un chœur brisé, mais encore solide.

Le titre Metalhorse lui-même, inspiré d’un manège déglingué d’une fête foraine, est une métaphore saisissante du tumulte de nos vies. L’album oscille entre vestige séduisant et vertige lumineux, plein de rage et paradoxalement d’un besoin de douceur absolue. La maladie (la sienne, une sclérose en plaques récemment diagnostiquée), le deuil (celui de son père, emporté par la maladie de Parkinson), imprègnent chaque morceau. « Nous étions si proches et notre lien était la musique », dit-elle à propos de sa relation avec son père. « C’était ma sécurité et ma protection dans le monde. Même dans la maison de retraite, alors que les choses empiraient, je lui rendais visite et il me demandait ce que je faisais. Je lui montrais les nouvelles démos, ou je passais à la radio. Cela a permis de ne pas tout gâcher, parce qu’on avait des choses positives à se dire. »  Et pourtant, Metalhorse n’est pas un disque de complainte. C’est un disque de transformation.

The Test, l’un des moments forts du disque, inspiré par la cascadeuse Yvonne Stagg, est une ode aux femmes qui risquent tout, dans l’ombre. On y retrouve le goût de Billy Nomates pour les figures féminines marginales, héroïques à leur manière. 

Dark Horse Friend, chanté en duo avec Hugh Cornwell (ex-leader des Stranglers), rend hommage à son père, fan du groupe. C’est une ballade ténébreuse, élégiaque, mais jamais larmoyante. Elle conclu l’album avec Moon Explodes, titre fiévreux aux accents blues-rock, et Plans, qui évoque l’étrange normalité de la vie qui continue, même quand tout s’écroule à l’intérieur.

Musicalement, Metalhorse est bien plus varié que ses prédécesseurs. Il y a des claviers vintage, des envolées folk, des pianos magnifiques, des mélodies dansantes, des refrains accrocheurs irrésistibles. Mais l’essence de Billy Nomates reste intacte : une voix sans fard, un charisme étourdissant, une écriture frontale et cette honnêteté désarmante. Le minimalisme de ses débuts laisse place à une richesse sonore qui sert la profondeur émotionnelle de cet opus, déroutant de prime abord mais qui devient rapidement séduisant.

Metalhorse, album de transition, plus conceptuel, acte de survie, preuve d’une mutation nécessaire où Billy Nomates montre qu’être vulnérable n’est pas une faiblesse, que changée sans trahir est possible. Loin de se diluer dans un son plus « produit », elle y révèle une force nouvelle, celle d’une artiste qui ne cherche plus à prouver quoi que ce soit, mais à exprimer sa propre vérité, avec un style mystérieux, éclatant, et une ambiance globale captivante comme les lumières multicolores d’une fête foraine.

Un disque mélodique, doux comme l’acier, beau comme un cheval au galop. Billy Nomates fait un pas de plus vers une grande liberté artistique.

 

 

Photo de couv. Jake Dallas-Chapman