Une transparence farouche, une clarté qui ne craint pas la fissure, avec Oblivion, le cinquième album studio, de la chanteuse sud-africaine installée à Berlin Alice Phoebe Lou signe une œuvre de dépouillement et de lucidité, un disque qui regarde l’oubli non comme une perte, mais comme une matrice bouleversante, un lieu de renaissance farouche et émouvant.
Dès les premières mesures de « Sailor« puis de « Pretender« , rapidement il est facile de nous apercevoir que tout est là : l’introspection sans posture, la simplicité désarmante, la tension douce entre ombre et lumière. Alice Phoebe Lou se tient à distance des constructions sophistiquées de ses précédents albums, « Glow« (2021) ou « Shelter » (2023), pour retrouver la vibration première, celle de la musicienne de rue qu’elle n’a jamais cessé d’être.
« Ces chansons sont nées pour moi-même, comme un retour à la maison », confie-t-elle. On le sent bien cet album avance à pas feutrés, dans une économie de moyens qui sublime chaque nuance. Le moindre frottement de corde, le moindre souffle de voix y devient signifiant.
« Oblivion« ressemble à une réconciliation. Alice Phoebe Lou s’y affranchit de la pression du diktat de la performance qui étouffe tant d’artistes, pour renouer avec une écriture instinctive, presque chamanique. Sa musique n’obéit plus à la logique du résultat, mais à celle du moment.
Écrit et enregistré dans l’intimité du La Pot Studio à Berlin, « Oblivion » déploie une esthétique du flux. Lou y revendique un rapport organique à la composition : les textes surgissent du subconscient, les mélodies suivent la respiration, les arrangements épousent les silences.
Le résultat, d’une limpidité rare, convoque à la fois la folk introspective de Joni Mitchell et la grâce crépusculaire de Nick Drake.
Dans « Mind Reader » cette tension et cette tendresse palpable s’étire. Guitares aériennes, pulsation contenue, texte suspendu entre résignation et foi : « I’m not a mind reader / But I will try for you ». Ce n’est plus la douleur qui parle, mais l’acceptation, cette paix troublante qui suit les tempêtes émotionnelles.
Plus loin, « Sparkle« , l’une des plus belles chansons du disque, la voix effleure le piano dans une lente montée vers la lumière. On y entend autant la sensibilité du chant, que le battement d’un monde intérieur. « Don’t be a fool, it’s not for you / It is for the divine » résume l’esprit de l’album. Une reconnexion à soi.
Ce qui fascine dans « Oblivion », c’est la manière dont Alice Phoebe Lou transforme la vulnérabilité en force sonore. Elle accepte les dissonances, les respirations accidentelles et elle choisit d’en faire son centre de gravité.
Les morceaux « Darling » et « Oblivion » on perçoit un geste d’expérimentation d’une cohérence absolue. Cette approche artisanale, empreinte de mysticisme discret, confère à l’album une profondeur spirituelle sans emphase.
Tout au long du disque, l’art de la métaphore est à l’œuvre: celle d’un lieu intérieur où l’on dépose le fardeau des souffrances pour renaître à sa propre essence. « Oblivion repose sur l’idée de permettre à ces débordements d’exister », explique-t-elle. Dans ce « lieu profond et obscur », selon ses mots, la musicienne maintenant trentenaire trouve un nouveau souffle, une nouvelle manière d’habiter la lumière dans un geste aussi ample qu’infiniment délicat.
En refusant la surenchère, Alice Phoebe Lou touche à une forme d’absolu minimaliste. « Oblivion« est l’opus de la résistance à la vitesse, à la superficialité, au bruit du monde. Il s’écoute comme on entre dans une chapelle intime, pour y retrouver la beauté simple d’être présent.



