“Blue Bayou” de Justin Chon. Bloody Roots.

Justin Chon est un personnage singulier. Rappeur, acteur et réalisateur ultra-doué, ce “touche à tout” boulimique a très bien compris les rouages d’Hollywood. Bosser pour une major ? Sans problème. Utiliser les codes et profiter de sa notoriété ? Tant que cela sert une communauté peu représentée à l’écran…  Je m’explique. Révélé en 2005 dans la série “Jack & Bobby” puis dans le premier chapitre de la saga “Twilight” (qui allait le “starifier” instantanément) en 2008, Mr Chon enchaine l’année suivante avec l’enthousiasmant “Droit de passage” de Wayne Kramer. Partageant l’affiche avec Ray Liotta, Ashley Judd et Harrison Ford, l’américain d’origine sud-coréenne se fait un nom. Sa renommée ? Il s’en sert, dès 2005, pour se lancer dans la conception de courts-métrages, alternant projets d’envergure en tant qu’acteur et œuvres plus confidentielles en tant que jeune moviemaker. C’est dans cet équilibre permanent que notre sidekick asiatique cède peu à peu la place à un réalisateur prometteur. Point de blockbuster. Justin Chon opte pour l’artisanat, le budget moyen et un cinéma prisé par le Festival Sundance ( qui, tout comme le Festival de Deauville, le consacrera en 2017 avec ” Gook”, son premier long-métrage).

Attention !


Ce coup d’essai n’est en rien dû au hasard mais le fruit d’un travail acharné.
Pour preuve, ce très beau “Blue Bayou”, marqué par un passif de onze courts-métrages.

Auteur total (il est, aussi, le scénariste-producteur de son “bébé”), c’est avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence que notre insatiable cinéaste dresse un portrait alarmant d’enfants coréens adoptés en Amérique puis expulsés des années plus tard manu militari. La faute à un vide juridique inhumain, rouage défaillant de la machine administrative made in USA.Moteur. Action.
Antonio Leblanc tire le diable par la queue. Marié à une mère (courage) célibataire et père de substitution d’une petite fille, ce dernier cherche un emploi stable afin de pourvoir aux besoins de sa famille. Par un concours de circonstance malencontreux et un passé de “bad boy” rémanent, notre anti-héros désormais apatride se voit séparé de ceux qu’il aime.Ils sont rares, les très bons mélos à l’écran. Souvent tire-larmes ou à tendance guimauve, parfois joués à l(’emporte-pièce ou usant de ficelles scénaristiques grosses comme une pâtisserie indigeste, ces sirops anecdotiques sont souvent moqués. Et la recette magique peu appliquée. Je m’explique encore.
Dans les films d’horreur ou les polars d’excellente facture, le fond doit briller afin que la forme soit réhaussée. Ainsi, “Massacre à la tronçonneuse” ne serait rien sans sa critique de la guerre du Vietnam en filigrane. “L’Exorciste” nous paraitrait bien fade sans sa description audacieuse de la puberté. Et “E.T. L’extra-terrestre” n’accèderait pas au statut de film culte sans sa critique ouverte de la peur de l’autre.

Bref, il faut souvent doubler la mise pour emporter le pactole. Justin Chon l’a bien compris et œuvre en ce sens.
Son histoire d’amour est puissante car le contexte social l’est d’autant plus. Parler de l’immigration sur fond de romance et de déracinement, tels sont les ingrédients majeurs d’un film qui privilégie autant l’émotion que la réflexion.Pour l’aider dans sa petite entreprise, le choix d’Alicia Vikander en femme écartelée est des plus judicieux.

Auréolée, depuis 2016, d’un Oscar du meilleur second rôle pour “Danish Girl”, la jeune actrice suédoise multiplie les rôles emblématiques avec une aisance déconcertante. Qu’elle soit aventurière dans le décevant “Tomb Rider” (son incarnation de Lara Croft prouve que l’on peut être sexy sans être, fatalement, hyper sexuée) ou androïde glaciale dans le stupéfiant “Ex Machina”, la compagne de Michael Fassbender bluffe l’audience. Sans une once de glamour. Incandescente et sensitive, sa prestation est, une fois de plus, à saluer.

Son partenaire de jeu n’est pas en reste. Dans un geste élégant, Justin Chon laisse tous ses protagonistes s’exprimer, soigne sa direction d’acteurs et sublime son actrice. Coups de gueules homériques, complicité pudique et connivences quotidiennes, leur couple existe à l’écran sans que le trait ne soit forcé. Bien entendu, nous pourrions souligner, çà et là, des personnages un peu trop “chargés” en pathos et des clichés attendus détournés trop facilement.

Mais “Blue Bayou” est un film de cœur. Sa démarche est honnête et à caractère universel, voire sociétale.

Et afin que la pilule passe ? Réalisation ultra-classe.
Justin Chon s’adresse au plus grand nombre. Ses mouvements de caméras sont nerveux (ces virées en moto sur fond de travellings fiévreux participent à une fuite en avant permanente), ses cadres précis et sa photographie mi sépia, mi-saturée (la scène d’introduction est à tomber) d’une grande qualité visuelle.
Héritage.


Je n’ai cessé de penser, durant toute la projection, à la chanson iconique de John Lennon ” Working Class Hero” ou à “Highway Patrolman” de Bruce Springsteen. Par rebond, “The Indian Runner” de Sean Penn m’est revenu. Même maitrise. Même qualité dans le choix du casting. Même chant du Cygne.

Attaché à ses origines et à sa double culture, Justin Chon est un réalisateur populaire au service d’un sujet délicat. Son deuxième essai un coup d’éclat. Hâtez-vous de découvrir ce mélo saisissant et flamboyant tant qu’il est programmé. Vous n’oublierez pas de sitôt le destin de cet enfant pas gâté.
Oui.
Si je devais, dans le détail, résumer “Blue Bayou”, je reprendrais-à nouveau- ces trois mots de John Lennon :
“Working. Class. Hero.”.

And Justin for All.

John Book.