[Interview] Bipolaire – Pop Song Rose & Noire

Ce groupe pop-rock mêle mélodies entraînantes et textes profonds, parfois romantiques, parfois tranchants, aussi énergiques qu’électriques. Je viens vous parler aujourd’hui du combo de Bipolaire, un quatuor épatant qui fait preuve d’une alliance parfaite du rose (la légèreté des émotions) et du noir (la profondeur des caractères). Surface et profondeur hiérarchisent ainsi l’espace créatif éclatant de l’ADN du combo perpignanais. Variant les plaisirs avec une agilité remarquable, faisant de leurs chansons des vibrations imagées comme autant d’actes de bravoure chantés en français, leurs singles, « Le temps passe », « L’écume » et « L’éclat », sont pour moi vraiment irrésistibles. Pas très loin de Taxi Girl, d’Elli Jacno ou de Martin Dupont, le spectre des sonorités 80’ laisse filer les mélodies dans des lignes rapides, dessinant les ondes aimantées éperdument contemporaines, dans une gymnastique poétique envoûtante. Le charme de Bipolaire est dû à cette articulation judicieuse de titres aux entrelacs multiples, formant l’architecture anguleuse d’un groupe méconnu à découvrir absolument.

 

Pouvez-vous nous parler de la création du groupe et de votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?
CarineBIPOLAIRE est la continuité de HEKTOR, un groupe Electro-Pop-Clash fondé en 2004 par Philippe et moi avec lequel nous avons fait un certain nombre de concerts et premières parties. Après cinq années de bon et loyaux services, HEKTOR est mort et fut le point de départ d’une pause méritée. L’envie d’écrire et de chanter sont revenus quelques temps plus tard, BIPOLAIRE est né avec les compositions de Philippe.

Lorsque l’idée de faire des concerts a ressurgi, nous avons souhaité que le projet soit soutenu par un guitariste et un bassiste pour apporter un peu de nervosité au set. Nous avons demandé à Pippo, bassiste issu du mouvement Punk et Jacques, guitariste chanteur aux influences pop british et post punk de nous accompagner dans cette aventure. 

Nous sommes aujourd’hui comblés par leur présence et amitié.

PhilippeMon instrument de prédilection est la batterie, à 8 ans je tapais sur tout ce que je trouvais, je passais les bals du village à regarder le batteur de l’orchestre, je rêvais d’être à sa place. Je suis allé jusqu’à me fabriquer une batterie avec des cartons car je n’arrivais pas à me faire offrir cet instrument.

Mon intérêt pour la musique a quand même été remarqué lorsque mes parents ont offert à ma sœur un Bontempi, j’avais 8 ou 9 ans, je l’ai squatté comme jamais. J’ai eu ma première guitare à 12 ans. Pour ce qui est de la batterie, je l’ai acheté à 18 ans après une saison estivale de travail, mes parents n’étaient pas motivés à l’idée d’avoir un tel instrument dans le garage de la maison, je pèse aujourd’hui tout ce que j’ai pu leur imposer, le travail des instruments, les répétitions avec les copains, c’était je crois un enfer pour eux : merci de votre patience !

S’en suit un parcours de musicien amateur local dans divers projets, je ne citerais que ceux qui ont eu une réelle influence sur mon évolution artistique et humaine, La CLÉF DE DOUZE, avec RICHIE qui m’a introduit dans le microcosme des musiciens locaux, CHARLOTTE B avec HENRY qui vient de sortir son disque chez IDO, HEKTOR avec CARINE la femme de ma vie & enfin HELLOLISA qui est devenu un réel traumatisme du fait de la disparition brutale de JULIEN et de l’échec que ce projet représente aujourd’hui sur le plan des relations humaines.

BIPOLAIRE est la suite logique d’HEKTOR, c’était mon premier projet de compositeur principal. Nous étions déjà sur cette idée d’électro-pop avec des textes en français, les outils n’étaient pas les mêmes, tout était construit à partir de logiciels et instruments numériques, bref la porte ouverte à tous les courants d’air, j’avais la fâcheuse tendance à en mettre trop. Malgré tout cela, HEKTOR a eu sa petite histoire et nous a permis des rencontres que nous n’aurions jamais imaginé auparavant. C’est également grâce à ce projet que nous avons gagné une certaine indépendance avec la création de notre home studio.

Après l’aventure HEKTOR, notre besoin d’écrire était toujours présent, c’est à partir de là que Carine et moi avons commencé à travailler différemment, en se posant des limites, l’idée était de composer des chansons uniquement à partir de vieux synthétiseurs, orgues ou boites à rythme en utilisant le moins possible l’informatique.

 

Comment avez-vous choisi le nom du groupe et y a-t-il une histoire particulière derrière ?
Carine & Philippe : Non pas d’histoire particulaire si ce n’est la réflexion commune sur le nom à donner au projet. Nous étions deux, nous pouvions composer des musiques solaires sur des textes sombres ou l’inverse, nous aimions beaucoup cette idée d’opposition, de pôles opposés. La bipolarité est arrivée très logiquement sur la table, rappelons qu’il ne s’agit pas de la maladie dont nous parlons ici, nous parlons de la notion technique qui concerne le synthétiseur : le Control Voltage (CV), il s’agit d’une tension de contrôle utilisée dans l’univers de la synthèse modulaire qui peut être unipolaire (de 0 à 10v) ou bipolaire (de -5 à 5v).

 

Quelles sont vos principales influences musicales, et comment définiriez-vous votre style ?
Carine & Philippe : Question très compliquée pour nous, nous sommes de gros consommateurs de musiques, notre culture est assez éclectique. Nos deux parcours de mélomanes nous ont conduit sur des bases communes qui sont le Punk, la New-Wave, le Post punk, la Pop, le Grunge ou même le Ska.

Toute notre consommation nous a forcément influencé dans notre processus de création, nous n’avons rien inventé, nous nous laissons simplement porter par notre sensibilité, nous ne cherchons pas à se revendiquer de tel ou tel mouvement musical ou artiste.

Nous aimons bien dire que les chansons de Bipolaire sont des « Pop Songs Rose & Noire ».

 

Comment décririez-vous la scène musicale rock Perpignanaise et en quoi vous motive-t-elle ?
Carine & PhilippeIl y a une certaine dynamique en ce moment, pas mal de groupes se font une réputation en proposant des projets de qualité dans des styles variés (cf votre article « la scène Rock Perpignanaise »). 

Les lieux de concert indépendants existent et proposent une programmation locale et extra locale, c’est une bonne chose pour se créer du réseau et essayer de s’exporter un peu. 

Pour ce qui est de la politique d’aide au développement des artistes locaux, nous devons tout de même admettre notre nostalgie de la dynamique des années 90/2000 notamment insufflée par l’ouverture du Médiator. Nous avons bien conscience que c’était une autre époque, que la scène était pour les artistes confirmés un moyen de défendre un disque, elle est aujourd’hui devenue une part très importante de l’équilibre financier d’un projet artistique, nous avons le sentiment que les producteurs et autres acteurs du spectacle vivant cèdent moins de place aux artistes émergeant locaux, c’est dommage.

Pour ce qui est de nos motivations, c’est assez basique, la création, la production, le plaisir de la scène et des rencontres, même si avant chaque concert on se pose toujours la même question : « mais pourquoi je m’inflige ça ? » (rires).

 

Votre région influence-t-elle les textes de vos chansons ?  
CarineAbsolument pas, même si notre région nous l’adorons.

 

Quels messages ou état d’esprit aimez-vous transmettre dans vos chansons ?
Carine : Mes textes parlent souvent d’émotions introspectives, de sentiments amoureux, d’une ambiance sombre en recherche constante de lumière.

J’aborde des sujets sensibles comme le suicide (« Suzie ») ou l’inceste (« Noir Désir »), mais jamais de façon trash, toujours entre douceur et colère, l’équilibre se créé naturellement avec la musique.

Philippe Je rajouterais que l’état d’esprit que nous aimons transmettre est la sincérité, la vérité et la violence des sentiments.

 

Comment se passe collectivement la création de vos morceaux, qui fait quoi ? 
Carine :J’écris mes textes sur les compositions de Philippe, parfois ce sont mes textes qui inspirent une musique à Philippe, dernièrement Pippo et Jacques ont contribué à la composition de notre dernier morceau. Tout est en constante évolution en fonction du moment et de l’inspiration.

 

Philippe : Je n’ai jamais eu le sentiment d’écrire de la musique, disons que je passe beaucoup de temps dans le studio à jouer avec mes synthétiseurs et boites à rythmes. Je me mets à suivre un chemin lorsqu’une suite d’accord, une rythmique, un son ou tout autre évènement vient titiller mon oreille. Je dois préciser que dans les évènements précités il s’agit souvent de Carine qui surgit dans le studio en me disant « c’est bien ça », il arrive même qu’elle déboule en chantant un texte qu’elle avait sous la main ou écrit sur l’instant. 

 

Si je ne me trompe pas, vous avez autoproduit et enregistré vous-même vos premiers titres et EP. Pour vous l’indépendance est-elle un atout ou un frein ?
Carine & PhilippeNous avons toujours vu la musique comme une passion, nous ne vivons pas de notre art, nous avons des professions qui nous laissent du temps pour nous consacrer à la création musicale. Se rajoute à cela la chance d’avoir le home studio qui nous permet de faire ce que l’on veut quand on veut, il s’agit bien d’une forme d’indépendance sur le plan de la création artistique.

D’un autre côté, si nous regardons la situation à travers le prisme de l’artiste qui cherche à se produire sur scène ou choper des articles, c’est clairement un frein car, par expérience, je sais que ça devient vite compliqué de vouloir porter un projet de bout en bout en totale indépendance.

Nous n’en sommes pas encore là avec BIPOLAIRE, mais en fonction de l’évolution du projet, il faudra se mettre en quête d’une structure qui nous laissera notre liberté de création et nous aidera au développement.

 

Vous avez déjà plusieurs dates de concerts à votre actif. Quelle est votre dynamique en tant que groupe et y a-t-il des rituels avant de monter sur scène ?
Carine : 30 minutes avant de monter sur scène, j’ai besoin de m’isoler car je ressens un trac intense et j’ai besoin de me concentrer sur ma respiration, j’ai le cœur qui bat à 10 000.

Une fois sur scène, le trac disparait après la première chanson, s’en suit des moments de partage souvent marquants, que la salle soit pleine ou non.

Philippe : Tout comme Carine, à la différence près que si je m’isole, je traque encore plus !

Je vais en loge au dernier moment histoire de se retrouver et s’encourager avec Carine, Jacques et Pippo. 

 

Quels sont vos projets à court et long terme, des albums, des tournées, des collaborations ?
Carine & Philippe : Nous sommes en train d’enregistrer un album sans se mettre la pression, en prenant notre temps, nous nous posons quelques questions quant au support à choisir, le vinyle est cher à produire, le CD reste un standard, nous aimons beaucoup l’idée de sortir une cassette avec code de téléchargement dans l’objet.

 

Quel est le moment le plus mémorable que vous avez vécu en live ?
Carine & Philippe : Sans conteste et sans aucun doute, il s’agit du deuxième concert d’HEKTOR devant une salle de 2500 personnes, lors du festival ARGELES ROCK (prémices des DEFERLANTES) avec ASTONVILLA et MICKEY 3D. Nous partagions la loge avec ASTONVILLA, ce fut un moment très marquant pour nous.

Nous ne pouvons passer sous silence un autre concert d’HEKTOR, c’était à l’Antirouille à Montpellier, nous nous sommes retrouvés programmé je ne sais comment dans un festival de métal, imaginez, 4 popeux qui font de l’Electro-Pop-Clash devant une salle remplie de métaleux ! C’était malaisant, c’était beau, c’était ultra bienveillant de la part du public, on a vendu un disque, on en rit encore aujourd’hui !



Si vous pouviez collaborer avec n’importe quel artiste, qui choisiriez-vous ?
Il y a tellement d’artistes dont le travail nous touche qu’il nous est compliqué de répondre, mais si il ne fallait en choisir qu’un alors :

La collaboration utopique pour Carine serait Robert Smith.

La collaboration impossible pour Philippe serait David Bowie.

La collaboration commune serait avec Jad Wio car il s’agit d’un groupe culte et pivot de notre histoire : lorsque Carine et moi nous sommes rencontrés au début des années 90, nous passions des soirées entières dans la 205 à discuter et écouter de la musique, nous nous sommes rendus comptes que tous les deux étions fans de Jad Wio, à cet instant précis, je crois que nous avons compris que nous étions fait l’un pour l’autre. Nous étions loin de nous imaginer que nous ferions un jour de la musique ensemble…

 

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Photo © Corinne RENON