Anthony Daniels: “Je suis C3PO. Les souvenirs ne s’effacent pas” aux éditions Fantask. Englishman in New-York.

“Star Wars” par le petit bout de la lorgnette. C’est avec beaucoup de facétie et de franchise qu’Anthony Daniels, l’inoubliable interprète du droïde doré le plus connu de notre planète, nous relate ses souvenirs de tournage. La rencontre inopinée avec George Lucas, le décalage violent entre les planches londoniennes et les gigantesques studios hollywoodiens sans oublier un iconique costume vécu comme un outil de torture, tout nous est dévoilé avec générosité.
C’est surtout l’occasion, via de croustillantes anecdotes, de découvrir l’envers du décor, fut-il naturel ou tourné sur un fond vert. Anthony Daniels est un acteur privilégié. De ceux qui, en dépit d’un talent indéniable, ne connut jamais les affres de la renommée ou les écarts putassiers des paparazzis. Car son incarnation de CP3O fut sa force et sa malédiction.
Qui se soucie de savoir quel acteur se cache derrière un second rôle, aussi “brillant” soit-il?  Personne, la production laissant entrevoir la performance d’un véritable robot en place d’un acteur.
Tony doit, donc, payer le double prix d’un anonymat forcé et d’une reconnaissance mondiale. Masqué. Démasqué.
“Et vous, qui interprétez-vous ? Un Jedi?” -” Non. Je suis C3PO, le droïde de protocole !”- “Haaa…?
“Elles furent nombreuses, les mines contrites des aficionados à la découverte de cet acteur élancé au glamour quelque peu “encastré”. Elles furent blessantes les remarques de certains techniciens ou de certains passants… et pourtant ! Anthony Daniels, abonné à la plus grande saga intergalactique, demeura un témoin privilégié du travail des “petites mains” et autres artisans officiant à l’arrière scène.
Car là est le point fort de cette autobiographie : décrire avec empathie le travail de titans d’artistes cités-régulièrement- en fin de générique. Costumières, décorateurs, maquilleurs, cascadeurs ou éclairagistes, Anthony Daniels travaille avec la crème des ouvriers et nous dépeint, avec tendresse ou vacherie, leurs luttes quotidiennes pour rendre la Magie tangible.


Assembler un torse, des genouillères, des articulations et des circuits électriques (voir le regard illuminé de notre héros mécanique) demande du temps et porter l’ensemble une abnégation (même si cette dernière est richement rémunérée). Mais bien qu’étincelante, cette armature digne d'”Iron Man” fut, étonnamment, invisible pour le commun des mortels !Je m’explique :C3PO n’est pas encore une star. Son fauteuil ne possède pas son nom sur le dossier, qu’il soit posé en Tunisie ou dans les studios d’Elstree.
Ainsi, rien ne sera épargné à notre acteur britannique. Ni les cauchemars éveillés dans un désert caniculaire où le staff l’oublie lors de la pause déjeuner ni ses plus grandes difficultés à se mouvoir sur un terrain glissant (le casque de C3PO étant doté de deux œillères internes, empêchant toute vision panoramique). Sa voix, inaudible car confinée, ne plait pas aux producteurs. Son partenaire de jeu enchaine les “bliiip” et les dialogues sont à l’opposé d’une joute verbale shakespearienne. Enfin, les chutes sont fréquentes. La post-synchronisation inévitable et les petites humiliations quotidiennes. Mais notre “candide” précieux en terre hollywoodienne sert les dents, apprend vite et collectionne les rencontres inoubliables. Sa vie est une aventure. Des voyages mouvementés en voiture avec un guide haut en couleur, son inimitié avec Kenny Baker (R2D2) ou son exaspération face à la mégalomanie galopante de certains partenaires (Harrison Ford et Billy Dee Willams ne mimaient pas leur désaccord sur le plateau) dévoilent un temps révolu où les tournages “in situ” s’apparentaient à une virée en grand-huit. Où la direction d’acteur passait bien après un concept visuel fort. Où la géniale logorrhée d’un majordome “so british” est validée à coup de “yep!” laconique, l’Ami Lucas étant bien trop obnubilé à respecter un budget devenu pharaonique.
Il n’y a pas de petites économies et lorsqu’un fusible lâche, il y a toujours un point de colle à rajouter.
Une certaine manière de faire du cinoche avec des bouts de ficelles, des câbles et de la rustine. Ironique ? It’s a kind of Magic ! Coupez.
Clap de fin.
Anthony Daniels, rincé par un tournage éprouvant, est remercié pour sa prestation, revient au bercail et n’attend pas grand-chose de cette expérience. La Fox semble inquiète. Le long-métrage souffre d’un montage paresseux.
Qu’adviendra-t-il de “Z-6PO” ? De cette épopée spatiale destinée aux enfants ?
Nul, encore, ne le sait…Qu’importe. Le droïde est à Tatooine et lui au Pays.
Mais, en Mai 1977, devant le Grauman’s Chinese Theatre, la foule galvanisée par une bande-annonce énigmatique, s’agglutine.
“La Guerre des étoiles” débarque et connait un succès qu’on ne lui prédestinait pas !Couverture médiatique digne d’une élection présidentielle. Fans transis. Personnages imprimés sur des stickers, des boites de céréales ou déclinés en jouets.
Notre mime reste sans voix. C3PO est partout et lui susurre : “tu es un corps étranger.” Anthony Alien.
Succès oblige, les suites et les tournages s’enchainent. George Lucas boucle ses trilogies et Anthony confirme sa présence indispensable à la bonne tenue de son alter-ego. C’est le jackpot ! Sa reconnaissance internationale tardive lui offre la possibilité de vivre (et faire vivre) une figure emblématique constamment.
Animer des conventions, ouvrir des expositions, participer à des émissions de radio relatant les péripéties d’Han Solo ou Luke Skywalker, donner la réplique à Kermit la grenouille ou visiter les usines LEGO (!) en vue d’un doublage, notre “Golden Boy” traverse les Etats Unis, endosse son costume de conteur et accepte totalement le fait d’être “the Man Behind the Mask…”.Son humilité n’empêche pas des élans de lucidité sur la grand machine économique et “Lucasienne” (rachetée depuis peu par l’Empire Disney). Ni des critiques ouvertes sur la manière de diriger une équipe par tel ou tel réalisateur (Richard Marquand et “Le Retour du Jedi”). Mr Daniels est, avant tout, un comédien- de formation classique- profitant d’une aubaine insensée. Son livre en atteste. Nous saurons, d’ailleurs, bien peu de choses sur ses incartades théâtrales (passées à la trappe). Bien davantage sur son admiration pour Sir Alec Guinness (d’une patience absolue). Et de son amitié naissante puis indéfectible pour Mark Hamill, jeune premier solaire et bienveillant.
Enfin, s’il ne fallait retenir qu’un seul chapitre de ce “page-turner”, je retiendrais son aparté sur la disparition prématurée de Carrie Fisher. Mr Daniels signe, ici, l’un des plus beaux hommages rendus à la Princesse Leïa Organa et nous bouleverse profondément.
Au final ?Cette confession est à l’image de son orateur. Distinguée, pudique et néanmoins caustique.
Tout comme Peter Mayhew et son homologue poilu, Anthony Daniels sait qu’un jour, il passera la main. Human after all. Mais les héros ne meurent jamais et les robots encore moins.  Cette élégance n’en est que plus touchante. Le discours, d’ailleurs, tenu par J.J. Abrams sur le plateau de “l’Ascension de Skywalker” en dit long sur l’aura d’un acteur méconnu mais pourtant a-doré.
Alors, que vous soyez néophyte, adepte du space-opéra ou enclin à maitriser la Force, faites un saut en hyper-espace et plongez dans les réminiscences truculentes d’un acteur “verni” et terriblement attachant.Car sous l’armure fragile, il est un cœur qui bat.

John Book.