Paul Theraneau est au bout du rouleau. Lessivé, exsangue, le maire de Lyon est en manque de carburant et voit sa vie comme une course de fond… sans fond. L’arrivée dans sa vie d’Alice Heimann, jeune philosophe mutée dans son cabinet, va lui redonner foi en son métier et goût à la joute verbale et conceptuelle.
Pour son dernier film, Nicolas Pariser fricote à nouveau avec le gratin politique et offre à Fabrice Luchini un personnage à sa démesure . Tour à tour accablé, enjoué, charmeur ou soucieux de l’avenir de sa ville, notre héros Rohmerien en diable, s’échine à trouver des idées afin de ne pas perdre pied. Le dandy Luchini a la courtoisie de ne pas faire dans la démesure et offre un jeu nuancé mais non dénué de panache. Il trouve en Anaïs Demoustier, d’une classe folle, une partenaire évidente et idéale et leurs dialogues d’une très grande qualité (on pense beaucoup à « La Discrète » de Christian Vincent) élèvent la réflexion sans tomber dans le nébuleux jargon .
Leurs (d)ébats linguistiques sondent un peu plus profondément ce que se doit d’être la Gauche au sein du paysage politique français et placent les spectateurs dans une position réflexive et participative. Qu’est ce que « faire de la politique » si ce n’est être au service des citoyens et de la Cité ? Vœu pieux enrobé d’une douce candeur mais à cent lieux des préoccupations qui sévissent au sein de l’Hôtel de Ville et dans le cœur des chargés de com’ ! Placer ses billes, creuser son trou, gravir les échelons tout en gardant son poste et ses privilèges, tel est le credo de l’entourage du Maire. Véritable petite cour bourdonnant aux oreilles d’un Monsieur Royal, cet entourage (interprété à la perfection par une distribution de grande tenue) est filmé avec une observation clinique et amusée. Panier de crabes. Mais pas assez d’écrevisses pour une fricassée !
En ce sens, Nicolas Pariser rejoint, par moments, l’ironie mordante de « Quai d’Orsay » de Bertrand Tavernier (je t’aime toujours, Tatav’, tu sais?) ou le décapant « Ridicule » de Patrice Leconte dans sa manière d’appréhender le langage comme arme de destruction massive.
Mieux, au détour d’un appel téléphonique nocturne ou l’élaboration d’un discours enflammé – digne d’un « Moi Président » prononcé par un Hollande conquérant face à un Sarkozy défaillant -, ce réalisateur touche au divin. Son long-métrage se détache, alors, d’un classicisme forcené pour frayer avec une certaine poésie : l’incursion de l’extraordinaire dans l’ordinaire.
Absolument intelligent dans son propos, élégant et original, « Alice et le Maire » envoûte, ainsi, par la grâce d’un charme souterrain et ne sombre jamais dans la critique revancharde et déplacée.
Serions-nous face au grand film français de l’année 2019 ?
Hélas, non. Le réalisateur du « Grand Jeu » n’est pas Claude Sautet (« Nelly et Monsieur Arnaud », inaccessible étoile), s’embourbe dans une histoire parallèle sans relief (l’intimité d’Alice peine à nous intéresser) et manque cruellement et techniquement d’ambition.
A l’instar d’un téléfilm luxueux, les champs-contrechamps se multiplient sans laisser s’engouffrer le moindre courant d’air frais dans les interstices d’une production corsetée. La très belle photographie sublime, certes, la ville des Frères Lumière et ses rues y sont filmées amoureusement. Mais rien ne décolle vraiment si ce n’est la complicité de jeu qui unit ce couple romanesque rarement vu à l’écran.
Je saluerai donc le courage de ce film français, simple et modeste, qui renoue avec une époque révolue : celle où la politique au cinéma n’était pas forcément synonyme d’ennui mais de spectacle populaire. Et où la force de son propos (la démocratie pour seule vertu) dénote dans un paysage cinématographique de plus en plus aseptisé.
John Book.