Dans son quatrième album, le chanteur français dévoile dix peurs, des ombres réelles ou fantasmées, et explore une vulnérabilité ordinaire qui marque un tournant artistique aussi majeur qu’extraordinaire.
Avec FROUSSE, Marek Zerba s’éloigne des observations sociales ironiques qui faisaient la signature de ses trois premiers albums pour plonger dans un territoire plus brut, instinctif, parfois halluciné. Entre humour noir, visions troubles et nuits et anxieuses, il compose un disque où la peur devient une source créative.
On l’a connu pince-sans-rire, chroniquant les dérives sociales à coups de cynisme élégant et de mélodies faussement naïves. Mais cette fois, il convoque à la fête la peur. Non pas la peur paralysante mais plutôt le frisson d’une énergie étrange, fertile, qui a façonné de bout en bout son nouvel album opus. FROUSSE.
Ce disque, peut-être son plus intime, explore des recoins moins lisse de son imaginaire. La dérision demeure toujours, mais elle se cache moins derrière la fiction. Le décor est plus sombre, l’écriture plus explosive, le sens plus incarné. Et c’est précisément ce mouvement intérieur qui donne à FROUSSE son caractère si attachant et dansant.
Sans masque : “La frousse.”
L’entretien commence par une question sur un changement stylistique évident : FROUSSE semble moins conceptuel, plus direct que les albums précédents. Zerba n’esquive pas.
« Avec ce nouveau disque, tu amorces un virage plus frontal, moins analytique. Qu’est-ce qui t’a poussé vers cette approche ? »
— La frousse.
Deux mots qui claquent, et qui résument plus qu’ils n’expliquent. Car pour Zerba, la peur n’est pas un obstacle : elle est plutôt un moteur et un moteur artistique.
Humour noir en veilleuse ?
Longtemps, Marek Zerba a manié le cynisme comme d’autres jouent du synthé : avec précision et panache. Mais dans ce nouvel opus, l’humour semble plus fragmentaire, plus discret, pour laisser place a une libre interprétation plus grande.
« Quelle place prend l’humour cette fois, face à l’anxiété ambiante ? »
— Je ne sais pas vraiment. Pour moi, il y a deux chansons un peu marrantes. Mais peut-être que tu en vois plus.
Le rire, chez Zerba, n’est plus catharsis ; il devient mirage. Les plaisanteries ne dissipent rien mais elles soulignent les fissures.
Dix peurs comme dix pistes
Le titre FROUSSE ! évoque immédiatement la panique enfantine. Mais le disque va bien au-delà. Il embrasse une grammaire complète de la peur : intime, collective, culturelle, tragique ou grotesque.
« Quelle est donc cette peur qui traverse l’album ? »
— Il y en a dix, elles s’appellent :
Dahmer, Lune rouge, Bataclan, Hontes hantées, Le Grappin, Cortèges d’amphores, Les Aphtes & les Orties, Chair de poule, Nuit polaire, Revolver quadrisécable.
Chaque morceau devient ainsi une entité autonome, un petit démon nommé, aligné comme une procession de spectres.
Brouiller les pistes : l’autodérision comme fumigène
Zerba aime détourner l’attention, tendre des miroirs déformants. Depuis ses débuts, il cultive la confusion entre provocation et mélancolie.
« Y a-t-il dans ton autodérision une volonté de brouiller les pistes d’une pop plus grave qu’elle n’y paraît ? »
— Je suis démasqué.
Un aveu amusé, qui confirme que la blague est parfois un camouflage.
L’alchimie sonore d’Alf Briat
Pour révéler la matière sonore de FROUSSE, Zerba a de nouveau fait appel à Stéphane « Alf » Briat, célèbre artisan du mixage, connu pour ses architectures électroniques raffinées.
— C’est un sorcier des fréquences. Il prend mes instruments, les met dans sa marmite et, après des incantations qu’il garde secrètes, en tire la substance alchimique la plus magique.
Une collaboration fondée sur la confiance, presque mystique, qui contribue à l’étrangeté hypnotique du disque.
Une équipe incarnée… et un compagnon infernal
À ses côtés, une constellation de collaborateurs fidèles :
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Hugo Rd, qui signe toutes les batteries ;
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David Bouhanna et Franck Lobielti à l’enregistrement, le premier ajoutant aussi ses percussions ;
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Maxime “MightyMax” Breton, créateur de beats millimétrés.
Et puis il y a l’invité le plus inattendu :
— Mephistophélès m’a soufflé les textes à l’oreille, lors de promenades au clair de lune avec ma chienne.
Chez Zerba, l’humain et le mythologique dialoguent sans prévenir.
Un uppercut à la tradition de la chanson française
Si ses précédents disques prolongeaient, même en la bousculant, une tradition de chanson française réfléchie et sociologique, FROUSSE prend un chemin plus chaotique, plus littéraire, nourri de techniques d’écriture éclatées.
« Quelles ont été tes influences cette fois ? »
— Peut-être que l’influence majeure était de foutre un gros uppercut dans la face de cette certaine tradition dont tu parles ; le Cut-up de Burroughs y a aidé.
Le résultat est une écriture nerveuse, fragmentaire, qui multiplie les angles d’attaque.
Latence de l’intime
On pourrait croire que ce disque, plus direct, révèle davantage son auteur. Marek Zerba répond sans se laisser piéger :
— Je n’ai pas ressenti le besoin de développer mon univers intime. Il est là, latent et vaste.
L’intime n’est donc pas un aveu, mais une atmosphère.
Un bestiaire de références hantées
Jeffrey Dahmer, Paul Bismuth, l’inspecteur Gadget, Villiers de l’Isle-Adam, mais aussi des figures locales ou décalées. L’album semble composé d’un étrange bestiaire où se croisent monstres réels, clowns politiques, héros de dessins animés et écrivains oubliés.
« Pourquoi autant de “gentils très gentils” et de “méchants très méchants” ? »
— Ils se sont invités eux-mêmes, j’ai juste laissé la porte ouverte.
Zerba ne convoque pas ses influences : il les laisse entrer.
Danser malgré tout ?
Bien que traversé par la tension, FROUSSE reste un album au rythme très travaillé.
— Bien sûr, le rythme prime toujours. Ce n’est pas un disque très dansant cependant. Quoique… J’attends qu’un chorégraphe s’empare de Chair de poule.
On imagine aisément la scène : un corps qui danse sur la peur, dans un mélange de transe et de dérision, fidèle à l’esprit Zerba.
Frousse un opus frisson
Avec FROUSSE, Marek Zerba ne cherche pas vraiment à rassurer ces peurs encore moins a les exorciser. Au contraire, il explore la peur comme un territoire fertile, un laboratoire de métamorphoses. Le résultat est un album plus troublant, plus sensible, où lexique fantastique et réalité fantasmé s’entrechoquent. Un disque qui, à l’image de son auteur, regarde ses monstres dans les yeux et les chante avec une passion et un plaisir contagieux.



