À 20 ans, Nina a quitté la France avec un simple billet pour Londres et une certitude viscérale : la musique serait son chemin, coûte que coûte. Quinze ans plus tard, la chanteuse des Healthy Junkies s’est imposée au cœur de la scène punk londonienne, défendant une identité farouchement DIY où se mêlent rage, mélodies acérées et liberté totale. De l’énergie brute des clubs de Camden jusqu’aux scènes mythiques partagées avec des légendes du genre, Nina trace un parcours singulier, nourri d’audace, de rencontres et d’une détermination presque féroce.
Avec Listen To The Mad, leur nouvel album signé chez le légendaire Rough Trade Records, elle ouvre un nouveau chapitre, un disque qui porte autant la fureur que la sensibilité d’un groupe impossible à ranger dans une case (et heureusement).
Entre racines françaises assumées, esprit punk indomptable et vision artistique sans compromis, Nina revient ici sur son chemin, ses rébellions et la façon dont la scène reste, aujourd’hui encore, son espace d’expression le plus vrai : un lieu de chaos, de liberté et de renaissance.
Tu as quitté la France à 20 ans avec un aller simple pour Londres. Avec le recul, quel a été le moment le plus fou où tu t’es sentie vraiment “au bon endroit, avec les bonnes personnes” ?
Je pense que je me suis dit ça plusieurs fois, mais la première fois, c’était quand on a été programmés au Rebellion Festival à Blackpool. Ça ne faisait qu’un an et demi que notre groupe existait, et on a eu cette opportunité de jouer devant des centaines de personnes à un stade assez tôt. Je me suis dit qu’il y avait quand même de sacrées opportunités en Angleterre pour un groupe DIY. Et bien sûr, ouvrir pour les Sex Pistols, c’était aussi un grand moment que je n’aurais sans doute jamais eu en France. Je me suis également sentie au bon endroit quand j’ai commencé à organiser mes propres concerts à Londres avec ma compagnie Tufnell Rock Tower. J’y ai rencontré énormément de musiciens inspirants qui m’ont rendue fière de faire partie de cette communauté.
Être une chanteuse française dans une scène punk britannique, est-ce devenu pour toi un atout, une singularité revendiquée, ou parfois un combat ?
Au début, j’en avais un peu honte, parce que j’étais complexée par mon accent français. Ça m’a pris du temps à réaliser qu’en fait, c’était un atout, quelque chose que je revendique aujourd’hui. Le public anglais aime beaucoup le côté rebelle et révolutionnaire des Français. Ça m’a d’ailleurs inspirée plus tard, avec des chansons comme “Resistance” et “Je suis free”. On a aussi tourné un clip pour “Just a Fool”, où on mettait en scène une manifestation dans la rue, une idée sortie tout droit de mes racines françaises. Et on a également repris “La Vie en Rose” d’Édith Piaf.
Depuis le Brexit, as-tu ressenti un grand changement dans le monde musical et artistique londonien ?
Oui, depuis le Brexit et aussi depuis le Covid. Beaucoup de salles ont fermé, c’est plus compliqué d’organiser des tournées en Europe, et je me dis que ce n’est plus vraiment possible de partir à Londres comme je l’ai fait, en tant que musicienne venue d’Europe, pour tenter sa chance. C’est vraiment dommage… ça n’encourage pas du tout la nouvelle génération à le faire.
Le son des Healthy Junkies mêle punk, grunge et mélodies accrocheuses. Comment parvenez-vous à maintenir cet équilibre entre rage brute et sensibilité mélodique ?
On a beaucoup d’influences diverses au sein du groupe. J’adore Nirvana et The Melvins, mais j’aime aussi The Beatles. Le guitariste adore Killing Joke, Bauhaus et Bowie. Je pense que nos influences se ressentent dans notre musique, et on a toujours écrit et joué ce qu’on voulait, sans compromis, sans chercher à formater notre son. C’est peut-être pour ça qu’il est difficile de nous catégoriser. C’est une force… et parfois une faiblesse. Mais on aime le contraste entre la rage et la mélodie, ça nous vient assez naturellement quand on écrit.
Votre nouvel album, “Listen To The Mad”, est sorti chez Rough Trade Records, un label mythique. Qu’est-ce que cette collaboration représente pour vous, symboliquement et artistiquement ?
J’avoue que c’est un peu un rêve de gamine. Si on m’avait dit à 16 ans qu’un de mes albums sortirait chez Rough Trade, je ne l’aurais jamais cru. C’est aussi grâce à Chris de Punk Fox Records que ça s’est fait, et je lui en suis très reconnaissante.
Vous avez partagé la scène avec des légendes comme The Buzzcocks ou Glen Matlock. Y a-t-il une rencontre ou un concert qui a marqué un tournant pour toi, humainement ou artistiquement ?
J’ai beaucoup aimé jouer avec TV Smith des Adverts. Il nous a rejoints sur scène il y a quelques années pour interpréter deux de ses morceaux en duo avec moi, et ça m’a secouée. Son énergie et son professionnalisme étaient tellement contagieux que je me suis vraiment sentie passer à un autre niveau. C’était une expérience scénique très forte.
L’esprit punk a toujours été lié à la contestation. Selon toi, quelle forme prend la rébellion aujourd’hui, dans un monde où tout semble récupérable ou digitalisé ?
Je pense que la rébellion aujourd’hui, c’est d’être soi-même, sincèrement, sans chercher à plaire ni à suivre les tendances. C’est refuser d’être formaté, de se laisser dicter ce qu’on doit dire, porter ou ressentir. Créer, c’est déjà un acte de résistance. Et sur scène, cette liberté, on la vit à fond, et c’est là que je me sens la plus vivante et la plus vraie.
Votre approche DIY et votre énergie scénique sont centrales dans votre identité. Qu’est-ce que cette indépendance représente pour toi ?
L’indépendance, c’est tout. C’est ce qui te permet de rester intègre, de ne pas te perdre. Être DIY, c’est un mode de vie, pas juste une stratégie. Ça demande de l’énergie, de la passion et beaucoup de foi, mais au moins, tout ce qu’on fait vient du cœur et nous ressemble à 100 %. Je préfère galérer en étant libre que réussir en étant contrôlée.
Enfin, si tu devais résumer en une phrase ce que tu vis sur scène avec Healthy Junkies, quelle serait-elle ?
C’est un mélange de chaos et de catharsis, comme un exorcisme électrique où tout devient possible pendant quelques minutes.
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