K.A.D.A.V.A.R., le neuvième chapitre discographique de KADAVAR, est un disque qui regarde vers les fondations du groupe berlinois, tout en portant les stigmates d’une traversée créative tortueuse. Après les explorations quasi cosmiques de « I Just Want To Be A Sound », on aurait pu croire le groupe parti pour poursuivre sa mue dans les limbes psychédéliques. C’était mal connaitre l’ADN du groupe : les riffs puissances et un son organique… Ici, pas de grand retour triomphal, mais un retour au source lucide. Depuis « Rough Times » ; le monde a changé et s’est même bien aggravé, la désillusion qui règne partout autour de nous est un décor permanent de ce disque où KADAVAR prend acte et tape plus fort, plus loin et plus viscéral que jamais.
Cinq ans d’attente pour « I Just Want to Be a Sound », puis à peine six mois pour que Kadavar revienne déjà avec un nouvel opus. Le contraste intrigue. Intitulé « Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin« , dont l’acronyme recompose ironiquement le nom du groupe, ce disque s’affirme comme une sorte d’album éponyme masqué : une manière de revenir aux racines, sans pour autant renier les explorations plus aériennes du précédent. Là où « I Just Want to Be a Sound » s’aventurait vers la légèreté et les textures mélodiques, ce nouveau chapitre réintroduit davantage de densité, de rugosité, et retrouve une âme plus brute.
La pochette, morcelée, presque fracturée, donne déjà le ton. L’album s’ouvre sur « Lies« , morceau solide et hypnotique où le riff, lourd et envoûtant, rappelle l’affection du groupe pour le psychédélisme électrique. Kadavar n’a pas perdu sa capacité à créer des atmosphères habitées. Cette énergie serpente jusqu’à « Heartache« , dont le début surprend par une cadence évoquant brièvement leur récente collaboration avec les vétérans du hip-hop allemand Fanta 4. Une illusion de courte durée : très vite, le titre bascule dans un rock effréné, porté par la voix magnétique de Christoph “Lupus” Lindemann, qui prend ici toute sa dimension.
La tension continue avec « Explosions in the Sky« , pont sonore entre passé doom-rock et présent plus large dans ses ambitions. Puis vient « The Corner of E 2nd & Robert Martinez« , interlude mystérieux marqué par un compte à rebours, qui sert de passerelle vers « Stick It ». Ce dernier est, sans doute, le morceau le plus mélodique du disque. Une parenthèse lumineuse rappelant certains éclats progressifs des années 70, avant que l’album ne replonge dans des zones plus ombrageuses.
Car les thèmes qui traversent « Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin » ne sont pas ceux de la douceur. La dystopie, la désillusion et la fuite en avant hantent les textes. « You Me Apocalypse » en est l’exemple parfait : une mélodie presque entraînante qui masque, en réalité, une vision du monde désenchantée.
Le cœur émotionnel et sonore de l’album se situe sans doute dans « The Children », pièce intense où guitares fuzz, influences stoner et atmosphères réverbérées se déploient en vagues successives. Une pause éthérée en milieu de morceau vient ajouter une respiration, avant que le groupe ne relance l’assaut.
Puis viennent les dernières secousses : le morceau-titre, plus complexe et stratifié, où le rock se densifie jusqu’à frôler le metal, suivi par « Total Annihilation » qui, comme son nom l’indique, termine l’album en explosion pure. Ici, Kadavar ne cache plus son amour pour le metal dans toute sa force abrasive. C’est un choc frontal, un point final qui laisse une empreinte durable.
« Kids Abandoning Destiny Among Vanity and Ruin » apparaît comme le petit frère plus sombre, plus nerveux, de I Just Want to Be a Sound. Si le précédent ouvrait grand les fenêtres, celui-ci referme les volets et embrasse l’ombre. Le groupe n’y perd rien en finesse : il gagne en relief. Kadavar élargit encore une fois son territoire musical, sans jamais abandonner cette identité sonore faite de poussière, de groove tellurique et de visions psychédéliques.
Un album habité, cohérent, vibrant. Et surtout, la preuve que Kadavar n’a pas dit son dernier mot, loin de là.



