7ème album pour les bordelais d’Eiffel et une déception à la hauteur de mes espérances : énorme. Ne vous méprenez pas, je suis un admirateur (de longue date) de la formation protéiforme menée par Romain et Estelle Humeau. Mais là, l’incompréhension se mêle à la tristesse. Stupeur (machine) et tremblements ? Pire encore. Accoucher de 110 chansons -durant la période du COVID- pour ne garder/graver sur une galette que 14 titres peu inspirés, je dois l’avouer : une chose m’échappe. Le grand architecte de « La peur et la vent » l’avait annoncé via sa newsletter, le nouvel opus aura des teintes 80’s prononcées. Mais de là à piller les chansons-phares d’interprètes culte durant cette glorieuse décennie sans jamais citer ses sources…Ce n’est plus un hommage, c’est un carnage ! Je charge trop la mule ? Je brise les émules ? Soit. C’est parti pour l’analyse « cent guignes » d’un LP pourtant prometteur mais trompeur.
« Interstellar » ouvre le bal de promo avec ses faux airs de « Quand est-ce ? » et un énième rappel… aux Beatles. Nous le savons, l’ami Humeau est grand fan du combo mais j’espérais autre chose de la sainte formule « Liverpool-Gorillaz-Pixies » bien usitée. L’ajout des cuivres ajoute, certes, une note nostalgique à ce pensum musical mais rien d’épique sous les tropiques. » Skin on Skin » déroule sa ritournelle coquette/quéquette, s’offre les services d’un saxo Muppet Show mais déterre-dès les premières mesures- « Changeling » des Doors. Inspiration ? Exaspération. Next. « Save Me » énonce son B.A.BA du petit Eiffel illustré, période « Mousquetaire », et navigue donc en eau double. Puis survient la première déception de taille, le titre de trop, la grosse bafouille : « Luxe, calme et volupté ». Copier ainsi « Let’s Dance » de David Bowie sans se moucher, c’est inhabituel chez notre auteur-compositeur de talent. Brasser de l’air sur du Baudelaire ? Louanges rigolardes ? Maladresse ? Paresse ? Je passe. « Ton temps ma jolie » louche sévèrement vers « Tu vois loin », une petite trompette mariachi en sus, puis Romain se ressaisit avec LE titre-climax de l’album : « La peur et le vent ». Nous le savons, Eiffel fut, souvent et à tort, comparé à son homologue en Nouvelle Aquitaine. Selon moi, mettre en concurrence le rock tourmenté de Noir Désir et le glam-pop d’Eiffel s’apparenta toujours à un raccourci journalistique sans réelle investigation. Oui, les deux gangs partageaient un goût identique pour la poésie, l’incandescence scénique et une indépendance farouche vis-à-vis des majors. Oui, leurs deux leaders ont de nombreuses similitudes dans leur look et leur approche textuelle singulière. Oui, les deux chanteurs sont amis. Mais musicalement, lorsque l’un revendiquait « The Gun Club », l’autre se pâmait pour Damon Albarn. Deux mondes. Un même univers. Jusqu’à ce single éponyme où les riffs d’introduction invoquent Noirdèz’ comme une filiation évidente. Compact, racé et foutrement bien écrit. L’un des sommets du disque. Coït interruptus, mon bonheur s’envenime avec « Or » et ses accords pompés sur « Every Breath you take » de Police et « Rectangle » de Jacno. Débandade lorsque le titre suivant se crashe outrageusement dans la facilité avec ce « Belle of the Bal » pompé sur « Modern Love ». Encore Bowie ? Bah oui.
Puis tout s’effondre : « Baiser Sioux » entreprend, à la hussarde, « Le parking des Anges » de Marc Lavoine quand « Anaïs attend » manque cruellement de sève. « Joue la vie » s’auto-plagie et pirate « Sous ton aile », « Plaie divine » profane sans honte « Vertige de l’amour » de Bashung, « You waste me» photocopie « Dans le vague » et « Abracaputana » détrousse les Frères Jacques et leur pittoresque « Shah Shah Persan ». Bilan ?
Redite. Redite. Redite.
14 titres pour combien de morceaux « originaux » ? Faites les comptes.
Eiffel, bon sang, quelle déconfiture.
J’aperçois, au loin, les ahuri(e)s outragé(e)s.
Que ce soit clair. Au risque de bredouiller, je considère -sans considérations à la con-« Le quart d’heure des ahuris » et « L’éternité de l’instant » comme deux pierres angulaires dans le rock français. Deux chefs d’œuvres dont le lyrisme fiévreux ne cesse de me nourrir inextinguiblement. Ecriture maitrisée, compositions enragées, rien ne surpasse (encore à l’heure actuelle) Eiffel en matière de romantisme rock. Je remets le couvert ? J’ai eu la chance de m’entretenir avec Romain Humeau en after-show à Villeneuve-la-Garenne, il y a de cela quinze ans. Même âge, même tronc commun en matière de références culturelles et même passion pour Louis Calaferte, nos échanges furent chaleureux. L’homme est infiniment touchant, drôle et galvanisant. Multi-instrumentiste total et fantastique showman (ce concert de dingue à « La Boule Noire » en mode rebelle solo ou en 2012 au « Trianon » de Paris), ce Grand Manitou manie tout avec emphase et boulimie. Pousse son groupe dans ses retranchements. Ose l’expérimentation et aligne les calembours spirituels comme personne (« Je m’adonne au vice pour des clous, les bras en croix »). Mais, en cette rentrée 2025, pourquoi tant d’indolence ?
Bonjour Tristesse.
Fidèle d’entre les fidèles, je répondrai présent à l’Olympia en 2026.
Mais pour la magie, j’attends ardemment d’Eiffel un autre tour.
John Book.



