[Chronique] BUSH – « I Beat Loneliness »

Il fallait bien dix albums pour en arriver là. Trente ans après avoir émergé de la scène londonienne avec « Sixteen Stone », BUSH ne cherche plus à conquérir le monde, il cherche à le comprendre. Devenu figure tutélaire du rock alternatif, survivant d’un âge révolu où les guitares portaient des hymnes en clair-obscur, Gavin Rossdale revient avec I Beat Loneliness comme on revient d’un long exil : avec des cicatrices, du silence, et cette étrange lumière qu’on appelle vérité.

Depuis les refrains rageurs des années 90 jusqu’aux explorations plus sombres de leurs dernières œuvres, le groupe n’a jamais cessé d’évoluer, de se redéfinir sans trahir son ADN. Et c’est précisément cette maturité forgée dans la durée qui donne à I Beat Loneliness sa puissance rare : un album frontal, nu, sans posture, où le rock devient un exutoire mais aussi un espace de réflexion, de réparation.

Produit par Erik Ron (Panic! At The Disco, Godsmack), ce disque s’érige en cathédrale d’introspection : une architecture sonore brute, taillée dans le chagrin et le silence, mais dont chaque pierre semble polie par la lumière vacillante de l’espoir. On y retrouve le quatuor formé par Gavin Rossdale (chant, guitare), Chris Traynor (guitare), Corey Britz (basse) et Nik Hughes (batterie), plus soudé que jamais, sculptant ensemble une matière dense, viscérale, parfois abrasive, toujours habitée.

“Scars” Riffs granitiques, percussions martelées avec une précision chirurgicale, voix éraillée, éminemment captivante. Le morceau, à la fois manifeste et mise à nu, transforme les stigmates intimes en emblèmes de résilience. La blessure devient message. La douleur, matière sonore.

« Les cicatrices ne sont pas des failles. Elles sont ce qui reste quand tout le reste a cédé. »

Le ton est donné ! Avec cet album Bush fixe les zones d’ombre, les contemple et les transmute avec force.

Avec “The Land of Milk and Honey”, l’album explore une fausse promesse d’abondance, saturée de guitares saturées, où l’euphorie semble gangrenée par une lucidité cruelle. L’énergie du morceau, organique, tendue, renoue avec l’urgence mélodique de Sixteen Stone, tout en s’inscrivant dans une dramaturgie plus mature, presque désabusée.

Puis vient “60 Ways to Forget People”, ballade spectrale où les arpèges se déposent comme des cendres sur une mémoire encore brulante. Ici, la sobriété devient une forme de pudeur. Le morceau déploie une émotion suspendue, minimaliste, dont la lenteur devient incantation. Comment oublier ceux qui nous hantent encore ? Combien de façons de faire silence autour d’un nom ? Le titre laisse ces questions ouvertes, comme des plaies qu’on n’ose refermer.

Sur le plan sonore, l’album conjugue plusieurs textures avec une maîtrise remarquable. Les guitares tantôt telluriques, tantôt éthérées, sculptent les contrastes émotionnels sans jamais diluer l’intention et la section rythmique, d’une rigueur presque militaire, est toujours au service d’un souffle organique. L’ensemble avec une production ciselée, qui en amplifie la tension entre la confession poétique et l’explosion rock.

La voix rugueuse de Gavin Rossdale devient vecteur d’une sincérité sans fard. À travers ce disque, il aborde frontalement les tabous de la santé mentale masculine, sans exhibition malsaine. Il convoque une vulnérabilité assumée, portée par une écriture dense, elliptique.

Les influences se devinent sans jamais dominer. On sent le spectre de Alice in Chains dans les harmonies tordues, des échos de Placebo dans certains phrasés et puis une forme d’épure mélodique qui évoque Radiohead. Malgré certaine ressemblance l’empreinte de BUSH reste singulière, forgée dans le feu de trente années d’existence artistique, toujours sur le fil entre introspection et intensité…

 

“C’est l’album le plus personnel que j’aie jamais créé”, confie Rossdale. Et cela s’entend, cela se ressent, dans chaque rupture de ton, chaque montée en tension, chaque silence laissé en suspens.

La solitude est une bête tapie dans l’ombre de chacun. Et parfois, il suffit d’une chanson pour l’apprivoiser.