[Chronique] TROPICAL FUCK STORM – « Fairyland Codex »

Le quatrième album de Tropical Fuck Storm est une chevauchée apocalyptique à travers les décombres d’un monde malade. Avec « Fairyland Codex« , le quatuor australien pousse encore plus loin son esthétique de l’effondrement : une musique éclatée, nerveuse, dense, où se mêlent art punk noisy, rock bruitiste et groove post-industriel. Si leurs précédents albums « A Laughing Death in Meatspace » (2018), « Braindrops » (2019), « Moonburn » (2022) et l’excellent album live « TFS Inflatable Graveyard » (2024) avaient déjà posé les bases d’un univers sonore paranoïaque dissonant et captivant, « Fairyland Codex » en est la cristallisation la plus accomplie et la plus insaisissable.

Enregistré en collaboration avec Michael Beach au Dodgy Brothers Studio à Nagambie, « Fairyland Codex«  est un disque à la production hypertexturée. Il multiplie les couches de guitares abrasives, les effets distordus, les lignes de basse hypnotiques et les rythmiques syncopées. On y trouve une variété de genres fondus dans l’alambic post-TFS : rock psyché, noise, funk déglingué, dub mutant, ballades …

Groove lancinant, guitares hallucinantes, et une tension qui grimpe sans jamais se résoudre « lrukandji Syndrome« , le morceau d’ouverture pose le ton. Il évoque l’hallucination provoquée par la piqûre d’une méduse australienne microscopique mais mortelle. Une parfaite allégorie de l’angoisse rampante qui infuse tout l’album.

TFS continue d’exceller dans l’art du sarcasme politique et social. Les paroles de Gareth Liddiard, toujours aussi cryptiques et férocement critiques, peignent un monde pris dans une spirale de stupidité collective, de crises climatiques, et de saturation numérique.

« Dunning Kruger’s Loser Cruiser » est un pamphlet sur l’arrogance des incompétents, sur fond de funk déglingué et de chœurs dissonants. Le titre joue sur l’effet Dunning-Kruger (biais cognitif où les moins compétents surestiment leurs capacités). « Bloodsport », l’un des sommets du disque, alterne chant tendu et lignes de guitare anguleuses pour évoquer une société obsédée par la compétition, la performance et la violence symbolique. « Teeth Marché » dénonce les absurdités de l’économie globale et la marchandisation du vivant. « Goon Show » revisite la satire britannique des années 50 à travers un prisme punk, transformant l’héritage comique en rituel vaudou de déconstruction sonore.

Même les titres les plus calmes, comme « Joe Meek Will Inherit the Earth » ou « Fairland Codex », ne relâchent jamais l’étreinte : sous leur surface plus posée, la paranoïa et l’ironie grondent toujours.

Sur le plan instrumental, le quatuor est en état de grâce. La rythmique Fiona Kitschin / Lauren Hammel (basse / batterie) atteint une précision chirurgicale. Les guitares de Gareth Liddiard et Erica Dunn, souvent jouées avec des effets extrêmes, transforment chaque morceau en un petit théâtre du chaos. La voix de Liddiard est tantôt prêcheur apocalyptique, tantôt conteur désabusé, tandis que celle de Erica Dunn introduit une douceur ironique, une contrepartie subtile à la folie ambiante.

Fairyland Codex est un codex, au sens propre : un recueil désordonné de fables, de contes tordus, d’observations dystopiques. Mais c’est aussi une œuvre très terrestre, ancrée dans les ruines de notre actualité : crise écologique, montée des extrêmes, l’horreur des guerres, bulle numérique et effondrement du sens.

Et pourtant, dans cette noirceur volontaire, il y a aussi un plaisir physique de la musique, un groove chaotique qui donne envie de danser avec TFS au bord du précipice...

Tropical Fuck Storm signe ici peut-être son meilleur album. Plus cohérent, plus affûté, plus libre, plus halluciné, plus tendre et désespérément lucide. Un disque à écouter en boucle, fort, en caressant l’espoir de les revoir en live, histoire d’en augmenter encore la saveur.