Lancé à l’automne dernier par I Let Myself Go Blind en compagnie de Vimala Pons et de Sonia DeVille, un clip coloré et par un concert pour Arte, l’œil noir de Kompromat flirte avec un mysticisme assumé sans sombrer dans le métal. Rendez-vous en enfer quand même, entre douceur et électro-punk enflammé !
Il faut remonter au début des années 2010, soit bien avant le film du même nom, pour découvrir le dossier compromettant du duo Kompromat, soit l’alliance musicale entre une chanteuse extravertie, Rebeka Warrior, déjà bien connue dans le circuit indé comme dans le circuit queer pour son rôle actif dans Sexy Sushi et Mandfield. TYA, et Vitalic, l’un des pionniers des musiques électroniques en France.
La jeune fille a grandi à Saint-Nazaire, a grandi au son de la techno à travers les raves dans des blockhaus sur les plages, s’est même essayée au chant métal avant de trouver sa voix avec Sexy Sushi, duo déglingos formé au début des années 2000.
Vitalic a lui découvert à la An-fer, à Dijon l’effervescence des musiques actuelles, notamment en assistant à un concert de Daft Punk. Après plusieurs essais avortés, il se fait un nom en créant son propre label, Citizen record.
La première collaboration musicale des deux musiciens remonte à 2012, à l’occasion d’un titre en français sur l’album Rave Age de Vitalic. Ce dernier cherchait alors à étoffer sa musique avec des voix. L’alchimie est immédiate, sous influence du groupe allemand DAF, à base EMB (Electronic Body Music) underground, un savant mélange de mélange de musiques industrielles et de synthpunk. Le résultat, un électro-trash entraînant, répond totalement aux attentes des deux protagonistes qu’ils remettent dans la foulée le couvert, cette fois sur un album entier Traum und Existenz, chanté, par pudeur, essentiellement en allemand. Rebeka se sent alors incapable de chanter en français.
Bientôt, le clip d’un nouveau morceau, De Mon Ame A Ton Ame, réalisé par Claire Burgel avec la présence Adèle Haenel, conforte la notoriété du duo, encore plus efficace sur scène que sur disque. Touché en pleine ascension par la crise du Covid, Kompromat doit annuler de nombreuses dates à l’étranger et s’offre alors une longue parenthèse de silence avant de revenir, sur le label de Rebeka Warriorecord, tel un sombre phénix, à l’automne 2024.
Retour fulgurant
Très vite, le buzz s’installe, et un concert filmé pour Arte plus tard avant même la sortie des nouveaux morceaux, le duo est à nouveau sur sa rampe de lancement.
Le chemin cathartique effectué, Rebeka est à nouveau prête à se donner corps et âme, dans une grande transe musicale rythmée par les beats infernaux délivrés par Vitalic, avec qui elle est désormais très pote. On ne tarde pas à être emporté.
En octobre dernier, le titre I Let Myself Go Blind avec Vimala Pons et Sonia DeVille, donne le ton. Le nouvel album sera dansant, très dansant. Solaire même.
La sensation est néanmoins différente, moins brune sans doute, car les paroles sont en anglais ou en français, mais l’exaltation, voire l’extase, sont encore plus flagrantes, portées par des propos chocs sans équivoque. De quoi s’insurger, et provoquer une éventuelle censure. Pour l’instant, pas de danger : Kompromat ne vise pas, encore, la Star Ac’, ni les rotations lourdes sur les radios mainstream.
Comment cela se passerait-il si cela arrivait ? Les Bérurier Noir, l’un des groupes iconiques de Rebeka avec The Cure, avaient préféré se saborder.
En ces temps troubles, François, le chanteur des Bérus, vient de reprendre la lutte sonore avec le duo No Suicide Act après de longues années de recherche au sein du CNRS. Son acolyte Loran a pour sa part fondé Les Ramoneurs de Menhir avec un succès jamais démenti, un nouvel album vient d’ailleurs de sortir, mais là encore en dehors du système comme des sentiers battus.
Une quête éperdue de l’amour
Mais revenons aux amours lesbiens, fantasmés ou pas, de Rebeka. Ils ne sont pas seulement revendiqués, mais bien proclamés à travers des paroles qui ne trompent personne. Dans List Me Up, mais surtout dans le titre I Did Not Forget You, une ritournelle très dansante, avec la créature presque transgenre Rahim Redcar, anciennement Christine And The Queens, dont le duo adore la musique, les mots sont sans équivoque. « Je me souviens de la première fois où tu m’avais chauffée à blanc j’étais rentrée toute seule en y pensant, je m’étais branlée plus de 10 fois plus de 10 fois ? » chante ainsi l’une en pensant à l’autre… Là encore, une parole rare de ce côté-ci de la force féministe.
Les textes semblent plus sages en anglais, comme si l’emploi de la langue de Molière accentuait les fleurs du mal mais dans No Stranger To Breakheart, aucune équivoque n’est possible quant aux intentions de Rebeka : Nous sommes bien avec des badgirls : I’m your slave I’m your puta I misbehaved Eduque moi.
Dans PLДYING / PRДYING, deuxième titre avec Vimala Pons, là encore les langues se mélangent, on a envie de dire au propre comme au figuré… Une ode sexuelle à la défonce dans une quête éperdue de l’amour. « J’ai fait n’importe quoi j’ai avalé tous les poisons, réel ou hallucination je veux seulement être avec toi. » Les paroles sont là encore explicites.
Avec Farah, une Londonienne d’origine iranienne, le groupe aborde sur God Is On My Side une autre facette, plus mystique, voire divine. La transe se fait vulnérable le temps d’une prière enchantée.
Alors qu’on imagine Rebeka en maîtresse de cérémonie païenne, la voilà maintenant en pleine dévotion. Une respiration salutaire avant un nouvel envol.
Only in Yours Arms, chanté à trois voix, recentre le propos vers des abus plus… voluptueux mais bien contrôlés. Un dernier échauffement avant l’estocade langoureuse portée là encore avec Sonia DeVille et Vimala Pons sur Forever.
La suite est plus douce puis Intelligence artificielle, la drôle de conclusion de l’opus aborde, à la manière des vétérans synthpop du Computer Game des japonais du Yellow Magic Orchestra, un sujet ancré dans l’actualité.
Des paroles brutes et sans concessions.
Un avenir à construire
Une fin qui appelle à une suite, mais avant le groupe défendra ses nouvelles chansons sur scène.
Alors, la musique introspective, expérimentale et underground de Kompromat deviendra-t-elle mainstream ? Elle en prend le chemin même si les prises de positions et la personnalité de Rebeka Warrior pourraient l’empêcher de franchir les remparts actuels de la bien-pensance.
La tournée des clubs, sold-out la plupart du temps, est en cours. Viendront ensuite les festivals de l’été, dont Solidays, Garorock, Beauregard,… et même un Zénith parisien le 5 novembre 2025 pour une nouvelle consécration cette fois devant un public de masse !
Patrick Auffret
Kompromat – PLДYING / PRДYING (Warriorecords)
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Les dates : https://beacons.ai/kompromat_tour
Photographie Théo Mercier & Erwan Fichou