« Late Night with the Devil » de Cameron et Colin Cairnes. Thank You Satan.

Bon sang, le cinéma australien ! « Mad Max », « Razorback », « Calme Blanc », « Pique-nique à Hanging Rock », « Wake in Fright », « Ballroom Dancing », « Priscilla, folle du désert », « Animal Kingdom », « Upgrade » et j’en passe. Il y a chez nos voisins en Océanie « un je ne sais quoi » de rugueux et de fantasque. Toujours à la limite, toujours au milieu de la route sans faire le trottoir. Intransigeant. Exigeant. Pour tout cinéphile, voir un long-métrage made in Australia est souvent gage d’originalité endiablée et de protagonistes excessifs. Dans ce cas précis, « Late Night with the Devil » ne fait pas exception et c’est avec un plaisir vorace que nous découvrons une pépite horrifique des plus intrigantes. En deux mots ? A beau milieu des années 70 aux Etats-Unis, un présentateur TV en perte de vitesse décide de relancer son émission. Artifices choisis ?  Un « Halloween Special » à grands renforts d’invités sulfureux et de confidences sentant le soufre (le « souffre » ?). Mais quand le Démon s’invite sur le plateau en direct, tout ne se passe pas exactement comme prévu. Le préambule sous forme de « news » laissait envisager un brûlot politique doublé d’un film fantastique ( le soulèvement du peuple noir américain dans les rues, les mensonges de Nixon, la folie de Charles Manson, la crise économique, l’après-Vietnam, etc…) mais il n’en sera pas question ici. Cameron et Colin Cairnes se contentent, seulement, de dresser un décor peu glorieux pour mieux insister sur l’importance de la télé-poubelle en tant que divertissement majeur. « Du pain et des jeux », pour reprendre la formule. C’est ma première déception, un bon film d’angoisse se distinguant toujours de ses pairs lorsqu’il teinte sa couleur rouge sang de problèmes sociétaux. Mais poursuivons. Là où  » Late Night with the Devil » brouille un peu plus ses pistes, c’est dans sa promesse d’un « Found footage » à la « Blair Witch Project ».

Veinard(e)s que nous sommes !

L’émission longtemps censurée à laquelle nous allons assister fut retrouvée récemment et, ô surprise, projetée devant nos yeux ébahis pour notre plus grand plaisir coupable. Or, nous le savons, Belzébuth nous joue de la flûte et ce show glaçant est orchestré du début à la fin. « Late Night with the Devil », film sur le mensonge ? Effectivement, ici, la forme rejoint le fond. Le Diable est dans les détails et en dépit de plans faussement amateurs (la perche qui apparait à l’écran, les airs dubitatifs de l’équipe, les sirènes urbaines en off, …), nos deux cinéastes savent très bien nous prendre par la main pour nous lâcher dans leur forêt noire. Il suffit de voir l’utilisation du noir et blanc pour les segments en coulisses puis la couleur dégueulasse et so vintage pour le direct et l’utilisation du Scope dans un final trop explicatif… pour déjouer aisément le tour de passe-passe de nos deux Houdini.

 Of course ! Tout est cinoche et le « réel » déployé est truqué. Nous en sommes les témoins mais aussi les otages consentants, à l’image du public, friand d’occultisme et de sensations fortes. Rassurez-vous, chères lectrices et chers lecteurs, il y aura de l’électricité dans l’air et même bien plus que cela. C’est toute la force de cette héca-tombe  maitrisée. Faire flipper l’auditoire avec peu de moyens (un ordinaire set de tournage) mais fournir une distribution éclatante et des effets-spéciaux de très grande tenue. Less is more. En gore et encore.

Au programme, ce soir ? Des jets de vomi noirâtre, une éventration et des invocations mystiques. Durant 1h40, Evelyne Thomas invite William Friedkin à se confesser sous les « hourras ! », l’émotion de bas-étage et la démagogie putassière.
Living in America. Devil inside. 

Seulement, à trop vouloir nous expliquer dans les moindres détails les causes de cette Salsa du Démon (notre Jean-Pierre Faucul à col pelle à tarte n’est pas le gendre idéal et ses amitiés sont très douteuses), « Late Night with the Devil » perd en mystère ce qu’il gagne en efficacité. C’est toute la différence entre le blockbuster et le cinéma d’auteur. Quand l’un éclaircit notre esprit à la lampe torche, l’autre privilégie la bougie. « Late Night with the Devil » aurait mérité un traitement clair-obscur. C’est ma seconde déception. Je ne passerai pas la troisième car…

J’ai souvent tendance à glorifier l’interprétation de la distribution pour telle ou telle production vue en salle. Une fois de plus, je n’y couperai pas tant le naturel collectif qui émane de cette tranche-média nous surprend instantanément. A commencer par David Dastmalchian, (vu dans le dispensable « Suicide Squad ») ébouriffant de fausse modestie et d’empathie travestie. Sa course à la gloire et à l’audimat, son attitude coincée et sa ringardise sont exposées sans fausse (death) note. A ses côtés, Laura Gordon campe une spécialiste de l’occultisme avec brio et la jeune Ingrid Torelli dans le rôle de Lilly D’Abo, sa protégée, livre une prestation inoubliable. Au rayon cabot, Ian Bliss et Fayssal Bazzi rivalisent de drôlerie (de quoi décompresser face à ce fucking climat pesant !) et Rhys Auteuri impressionne en faire-valoir dépassé par les évènements. Plus loin et plus profondément, Georgina Haigh nous émeut dans le rôle d’une défunte bafouée. Enfin, la voix de l’immense Michael Ironside (vu dans « Top Gun », « Starship Troopers » et l’injustement méconnu « Turbo Kid ») nous ensorcelle dès sa première élocution. Sa présence orale finit d’adouber ce cauchemar et se mue instantanément en immense référence geek. Cinéphages de tous poils ! Hâtez-vous ! Ne serait-ce que pour vibrer au rythme de ce « rock n’roll Circus télévisuel », oui, hâtez-vous et ne loupez pas ce rendez-vous avec la peur ! Cynique, crade et subversive, cette excellente série B sera diffusée sur une plateforme populaire dès la fin de ce mois. Et si le courage vous étreint et que vous êtes de passage sur Paris, « L’étrange Festival » (dans lequel j’ai pu voir cet O.F.N.I.) poursuit sa programmation frappadingue et de qualité jusqu’au 15 septembre. 
Salles impeccables pour tarifs très corrects.

Histoire de ne pas tirer le Diable par la queue.

John Book.