« Horizon: une saga américaine. Chapitre 1 ». de Kevin Costner. Born in the U.S.A.

Une colonie de fourmis s’échinant à partager des informations et œuvrant pour leur habitation dans un espace désert. Tel est le plan d’ouverture en guise d’allégorie du nouveau film de Kevin Costner, en tant que réalisateur. J’attendais beaucoup, voire énormément, de ce western de trois heures. S’inscrivant dans une quadrilogie avec pour sujet la naissance d’une nation, « Horizon » promettait bien plus qu’une série de gunfights dans un saloon ou qu’une relecture flamboyante de « Pocahontas » (« Danse avec les Loups »). La grande Histoire vue par le prisme de trajectoires familiales contrariées, la promesse d’une terre habitable en territoire indien et de migrations de populations dites « indigènes », tels sont-entre autres- les sujets d’un long-métrage gargantuesque et généreux. Commençons, donc, par le scénario du premier volet de cette saga. Kevin Costner, Gentleman Farmer, possède l’aisance des plus grands et refuse de s’exposer en tant que « star ». Son casting de folie parle pour lui (j’y reviendrai) et « Mr Bodyguard » s’applique à privilégier les scènes d’exposition plus que l’autocongratulation… Quitte à verser dans la contemplation. C’est là le bémol qui nous étreint dès le préambule de ce film-choral. En dépit de différentes histoires connectées et toutes plus passionnantes les unes que les autres, cet opus peine à décoller. Est-ce la faute à certaines longueurs ? A un focus trop appuyé dans le portrait dressé de nombreux protagonistes ? A une méthode d’écriture liée aux séries actuelles ? Indubitablement. Notre Robin des Bois pour l’éternité semble confondre épisodes télévisuels (« Horizon » est bâti comme un segment de « Yellowstone » répété trois fois une heure) et cinéma à grand spectacle. D’où un ressenti bancal face à une œuvre cinématographique puisant dans le petit écran. C’est d’autant plus rageant quand on constate que là où « Yellowstone 1923 » multiplie les actes de bravoure avec panache et équilibre sans nous lâcher une seconde, « Horizon » patine souvent dans sa volonté farouche de prendre un peu trop son temps. Oui, cher Kevin, nous devinons les enjeux qui se trament à travers tel ou tel Etat, tel Apache revêche ou tel Asiatique empathique. Nous voyageons, en votre compagnie, vers des terres connues et la visite guidée est bien calibrée. Trop calibrée. Point de perdition. Votre Amour pour John Ford ou Howard Hawkes est palpable à chaque travelling et l’on sent, chez vous, le désir de désigner vos pairs comme mentors absolus. Malheureusement, votre long-métrage souffre du syndrome d' »Indiana Jones et le cadran de la destinée », à savoir une certaine manière de « faire » du cinéma pour une génération liée à la vôtre, la mienne et non à la nouvelle. « A l’ancienne ! » s’exclameront les plus blasés. « Old School ! » contre-attaqueront les plus cinéphiles. Et au milieu ? Un gouffre économique. Bien entendu, Kevin Costner capitalise sur un genre populaire qui fit des rebonds temporels dans le cœur des spectateurs (combien de temps écoulé entre « Silverado » et « Impitoyable » ?) . Mais en 2024, l’heure n’est plus à la quête bucolique. De surcroit, ces dialogues pompeux (ce monologue sur l’attachement des colons à un espace vierge gorgé d’espoir) et ces personnages archétypaux (ces actrices sublimes et ces méchants patibulaires, ces différences de castes sociales dénoncées maladroitement et ces amourettes cousues de fil blanc) n’arrangent rien à cette valeureuse mais périlleuse entreprise. Nouveau Western ? Moderne ? Non. Le « Postman » insiste sur la nécessité de décors tangibles, d’une reconstitution historique rigoureuse et fait fi des fonds bleus. Tant pis pour le pop-corn !
Je ne vous le cacherai pas: j’aime ce cinéma de Papa. Je le kiffe jusqu’à la moelle. « La Rivière Rouge » et « L’Homme qui tua Liberty Valance » font partie de mon panthéon, mon ADN. Mais cet « Horizon » est obstrué par des scories narratives qui me piquent les yeux.
Toutefois, et pour notre plus grande satisfaction, Mister Moustache s’est entourée d’une « Dream -Team » totalement raccord avec son « Wild Wild West ». Voyez plutôt : Sienna Miller (vue dans le furibard « Layer Cake » ou le dérangeant « American Sniper »), Sam Worthington (impeccable dans l’incompris « Terminator Renaissance »), Jena Malone (subtile dans l’étrange et fascinant « Nocturnal Animals »), Danny Huston (truculent dans « Game Night »), Michael Rooker (flippant Serial Killer, inoubliable acolyte de Stallone dans « Cliffhanger » et touchant Yondu dans la trilogie des « Gardiens de la Galaxie »), Luke Wilson (décalé dans l’irrésistible « You kill me » de John Dahl), Giovanni Ribisi ( parfait dans le remake du « Vol du Phoenix ») ou encore Abbey Lee Kershaw ( troublante dans l’inégale série « Lovecraft Country »)! Sans oublier Gregory Cruz et Owen Crow Shoe, interprètes majestueux s’exprimant uniquement en langue indienne. Toutes et tous rivalisent de classe dans cette odyssée naturaliste. Enfin, l’auteur de cette épique épopée n’a pas perdu la main quand il s’agit de filmer voluptueusement les contrées américaines et s’aventure même dans le documentaire (on pense parfois à « First Cow » de Kelly Reichardt pour ses moments en creux). Mais ces précieux atouts ne suffisent pas à porter notre intérêt au-delà d’un divertissement classique et luxueux. Défendu ardemment à Cannes par un parterre de critiques, Mr Costner (en pleurs) ne pouvait imaginer un échec cuisant au box- office mondial. Mais les résultats sont là, aussi déplaisants soient-ils. Quelle ligne de fuite pour ce quadruple « Horizon » ? Aucune. New Line Cinéma repousse-apparement- la sortie du second volet tandis que le premier débarque en toute hâte en VOD sur une plateforme anthropophage. Septembre en attendant ? Qui sait ? Les deux dernières parties ? Plus d’actualité. L’avenir du cinoche ? Dans ta DVDthèque, mon pote.
Signe des temps.
En dépit d’un épilogue (déjà tourné) muni de « flash forward » quant aux destinées fracassées de nos pionniers, rien ne sera vraisemblablement projeté sur l’écran noir de nos nuits blanches.
Un jour, les intelligences artificielles serviront de prête-noms sur l’autel calciné d’Hollywood. Nous pourrons toujours nous remémorer cet « Horizon » contrarié comme un geste vengeur (j’ose) dans le paysage ultra-numérisé du blockbuster décomplexé.

John Book.