MODERN ENGLISH, TRÉSOR OUBLIÉ

D’abord connu en tant que groupe punk sous le nom de The Lepers (1977) (rien à voir avec l’ex-présentateur de ‘’Questions pour un champion’’), Modern English est un groupe originaire de Colchester dans l’Essex (Nord-Est de Londres), fondé en 1979, qui s’inscrit dans le mouvement post-punk/new wave.

Sorte de ‘’chaînon manquant entre Duran Duran et Joy Division, à l’aise dans le rock glacial comme dans la pop pétillante’’ *, Modern English est l’une des premières signatures de l’emblématique label 4AD créé en janvier 1980, qui produira entre autres Bauhaus, Cocteau Twins, Dead Can Dance, Pixies…

Nous ne saurions trop recommander aux amateurs de post-punk de (re)découvrir de toute urgence leur discographie. A commencer par les trois premiers albums :

Le sublime Mesh and Lace (1981), post-punk sombre et agité, phrasé punk, à ranger dans la catégorie ‘’trésor injustement oublié, à réhabiliter’’;

After The Snow l’année suivante, avec une ambiance pop et apaisée et des sonorités finalement assez proches de The Human League ou Depeche Mode. L’opus révèle la pépite pop ‘’I Melt With You’’ (ICI)une mélodie catchy au refrain imparable, ainsi que ‘’Tables Turning’’ (ICI);

Ricochet Days (1984), sur lequel le groupe se réinvente encore avec des orchestrations nouvelles, d’où émerge le single ‘’Hands Across The Sea’’ (ICI).

Il faut bien avouer que la suite sera malheureusement moins enthousiasmante.

On se demande bien ce qui fait basculer un groupe de l’autre côté du rubicon, vers la notoriété internationale et le succès planétaire et en laisse d’autres dans un quasi-anonymat.

Au final, qu’aura-t-il manqué à Modern English pour être au-devant de la scène post-punk britannique du début des années 80 ? Un soupçon de personnalité ? Un manque d’ambition ? Pas véritablement.

A l’image de toute une génération perdue de tennismen, prétendument spécialistes de la terre battue, mais malheureusement pour eux nés sous l’ère Nadal, le seul tort de Modern English, mais peut-on décemment le leur reprocher?, aura été d’émerger dans une période de profusion de groupes post-punk/new wave assez exceptionnelle : l’armada de la Factory Records (A Certain Ratio, The Durutti Column, Section 25, New Order,…), Gang of Four, Siouxsie and the Banshees, les nouveaux romantiques (Culture Club, Spandau Ballet, ABC, Visage, Ultravox, Duran Duran,…), et d’autres chantres de la new wave (Dead or Alive, Depeche Mode,…).

Le temps est venu aujourd’hui de réhabiliter Modern English car ils le valent bien. Pour exemple, leur dernier album sorti l’an dernier, Take Me To The Trees, grâce à qui nos papilles post-punk font de la résistance. Même s’il ne nous envoie pas dans la canopée, l’opus recèle de belles saveurs pop et un titre majeur, l’addictif psyché-post-punk-oriental ‘’Moonbeam’’ (ICI).

Dimanche 3 juin 2018, le groupe était sur la scène du Supersonic, avec la formation d’origine – le chanteur et guitariste Robbie Grey, le guitariste Gary McDowell (couvert de tatouages, pompes glitter magnifiques à faire passer Roland Dumas et ses chaussures Berluti pour un ‘’sans-dents’’), le bassiste Mick Conroy et le joueur de synthés Stephen Walker.

Dès les premières mesures, force est de constater que le groupe n’a rien perdu de sa verve. Preuve en est avec l’épatant ‘’Black Houses’’ (ICI), qui n’a rien à envier à ce qu’un autre Robert (Smith) peut produire avec The Cure. La ligne de basse de Mick Conroy n’a rien à envier à celle de Simon Gallup et le batteur Richard Brown soutient largement la comparaison avec Lol Tolhurst, ou encore‘’16 Days’’ (ICI), qui n’est pas sans rappeler OMD période Dazzle Ships (1981).

Les membres du groupe sont visiblement heureux d’être là et rattrapent le temps perdu. Ils sont alertes et talentueux, la bonne humeur et la potacherie n’étant jamais bien loin (Robbie Grey pince les fesses du guitariste Gary McDowell entre deux morceaux et s’en amuse comme un gamin).

Le set s’achève après un rappel et le somptueux ‘’I Melt With You’’ et ses mots d’espoir :

I’ll stop the world and melt with you […]

There’s nothing you and I won’t do […]

The future’s open wide

Qui a dit que le post-punk était glacial, sombre et déprimant ?

Alechinsky.

* Article paru dans Sun Burns Out en octobre 1986.