Un chant qui, au-delà de son ascension sensitive, offre ouvertement son apport à l’origine. Bleu Reine aka Léa Lotz, avec son nouveau single Sighișoara , extrait de l’album la Saison fantôme à venir fin 2023, fait éperdument surgir des tourbillons de pensés comme autant d’actes réminiscents. Poésie fantomatique, aux rythmes folk gaze, pétri de paradoxes temporels, aujourd’hui comme hier, prouve que la beauté des choses à l’état naissant est partout lorsqu’on sait la découvrir. Les amateurs de chant mélodieux en tomberont sous le charme immédiatement. Mélodie porteuse d’une haute sensibilité mémorielle souvent dominé par une impression étrange, un fantasme presque nécessaire, elle nous interroge autant qu’elle nous fascine tant cette musique semble lui avoir été donnée bien avant qu’elle ne la connaisse, pour nous transmettre une poésie fantomatique et captivante. Vous pouvez y trouver des échos dans vos propres songes mais aussi simplement vous laissez porter dans le souffle chaud de Sighișoara. Il y a, de toute façon, un puissant ancrage dans les chansons anguleuses de Bleu Reine et en cela augmente l’admiration. Afin d’en découvrir plus sur son univers Léa a répondu à quelques-unes de nos questions.
Bonjour Léa, peux-tu te présenter brièvement et nous parler de ce qui t’a amené à la musique ?
Salut ! Alors oui, je m’appelle Léa Lotz, j’ai 31 ans, je suis une multi-instrumentiste et productrice parisienne ; et la réponse courte ça pourrait être : ce qui m’a amenée à la musique c’est que j’avais plein de trucs à dire je suis une vraie pipelette…
Mais je vais peut-être faire un fast forward sur l’enfance au piano classique et l’adolescence à la basse dans des groupes de copains, pour arriver à l’instrument qui est à la fois le dernier que j’ai découvert et celui qui m’accompagne le plus aujourd’hui : la guitare. Du lycée jusqu’à mes 25 ans, j’ai fait quelques premiers pas intéressants dans l’écriture et le studio, les maquettes, mais finalement c’était encore très figé dans des références anglo-saxonnes et un sens du perfectionnement, qui faisaient que j’étais assez rarement en première intention je pense. Puis j’ai rencontré mon label en 2018, ça a été le début de mon chapitre « Bleu reine » : un premier EP est sorti en vinyle début 2019 qui s’appelle « Elémentaire ». Je débarquais complètement dans ce milieu, il y avait beaucoup de pratique et de réseau à bâtir, et finalement j’ai eu moins d’un an pour amorcer tout ça car il y a eu le covid sur la route… Ce qui nous amène à l’été 2020, qui a ouvert un nouveau cycle pour moi, plus personnel et profond, avec le début du travail sur mon premier album qui sera achevé cet été.
Il y a un an, j’ai quitté mon job pour me consacrer exclusivement à la musique et à deux-trois activités qui y sont très liées comme mon émission de radio « Panoramique ».
Donc voilà, pour présenter très pragmatiquement ma carte d’identité et ma trajectoire !
Musicalement parlant, tu développes un univers chimérique captivant. Quel en est le fil imaginaire qui guide ta musique et ton écriture ?
Je pense que comme tu dis, mon écriture comporte deux volets, le texte et la musique, adossés dans le morceau final mais avec deux fonctions distinctes.
J’aime écrire sur des situations et personnages imaginaires, qui sont soit des allégories, soit des refuges ou des « paratonnerres » pour me libérer des trucs qui m’encombrent… C’est assez rassurant pour moi de me dire que nous, les humains, on doit parfois découvrir et digérer des émotions fortes qui sont finalement récurrentes depuis des siècles et peuvent donc être illustrées par des symboles, des couleurs, des images mentales intemporelles. Sur l’album en cours, je me rends compte que tous les textes sont venus hyper vite et que j’ai pratiquement rien retouché derrière. J’ai passé beaucoup plus de temps à peaufiner la production musicale qui est une sorte de véhicule pour que ces mots passent vers l’extérieur ; c’est un peu comme s’il y avait une petite équipe de 2 personnes en moi, d’abord une personne poète qui écrit de manière assez libre, abstraite, avec des choses qui ne riment pas toujours et qui ne sont pas toujours équilibrées en terme de métrique, et ensuite une personne musicienne qui prend le relai et doit « ranger le bordel » c’est à dire rendre service au texte en en proposant une sorte d’extension esthétique, une traduction, un peu comme une BO pour un film.
Après ton ep « Elémentaire » et ton 1er album « La Saison Fantôme » tu as entamé ton retour avec deux singles « Sighișoara » et « Comme un seul homme » pour élaborer ces 2 titres tu as travaillé avec la même équipe que précédemment ?
Alors mon album « La Saison Fantôme » ne sortira qu’en fin d’année 2023, les singles « Comme un seul homme » et « Sighisoara » en sont justement les 2 premiers singles !
Pour l’EP en 2018/2019 et pour cet album j’ai eu deux méthodes très différentes, deux entourages différents, finalement il n’y a que le label et moi qui n’avons pas bougé depuis l’équation de ce disque.
Comme je te le disais, à l’époque de l’écriture et de l’enregistrement d’ «Elémentaire » j’avais 26 ans, aucun véritable réseau ni expérience poussée, j’ai un peu fait mon entrée dans le « chanson française game » les mains dans les poches à plusieurs égards… J’ai travaillé beaucoup seule sur des choses où ça m’aurait aidée d’être accompagnée, et j’ai travaillé avec des ingénieurs du son et musiciens successifs, sur 2 studios différents, de manière assez décousue et selon un calendrier assez ingrat pour tout le monde. Je suis hyper attachée à ce disque pour ce qu’il raconte/représente, mais c’est marrant parce qu’il illustre à la fois une ambition assez naïve et des moyens très limités (c’est un peu l’image des 2 gamins superposés sous un grand trench qui essaient de gruger au cinéma pour aller voir un film interdit aux moins de 16 ans).
Pour « La Saison Fantôme », au contraire,j’ai commencé dès le tout début à ne bosser qu’avec une principale personne, Clément Arnould, mon ingénieur du son qui fait les prises et le mixage ; il y a aussi Paul Rannaud au mastering. Et surtout avec une méthode beaucoup plus posée et solide. C’est un travail de fond et de forme qui aura pris 3 ans, avec beaucoup d’évènement personnels et artistiques pour moi sur cette période, ce qui fait qu’en prenant davantage mon temps j’ai aussi l’impression d’arriver avec une meilleure connaissance de ce milieu qui est le mien à 100% désormais.
J’écris les textes, la musique et les arrangements ; je chante et joue tout moi-même, sauf certaines batteries qui nécessitent un registre plus techniques comme celle de « Sighisoara », qui a été jouée par mon ami Vincent Kreyder. J’ai mes amies proches de la scène alternative qui feront une apparition instrumentale sur 3 morceaux également. C’est une fierté et un grand luxe de pouvoir travailler dans de telles conditions. Une chose que je veux préciser, c’est que sur l’EP je n’avais pas trop de moyens mais ça a été un complexe que j’ai voulu à tout prix dissimuler ; sur l’album, j’ai encore moins de moyens financiers mais ça m’a rendue mille fois plus créative et dédiée à la tâche.
Tu navigue entre pop mélancolique et rock mélodieux. Quelles sont tes influences ?
Ah la grande question ! Je t’avoue que je ne réponds jamais la même chose car ça me fait toujours un peu peur de balancer des noms de manière définitive ahah.
Mais si je fais le pont entre ce qu’on me dit en ce moment, et ce que je pense faire, je dirais que mes influences sont autant du côté de la nouvelle scène française type Dominique A, Françoiz Breut, Murat… Aussi des choses plus folk, grunge, comme Mark Lanegan, et bien sûr des artistes plus flamboyants et iconiques que je connais et admire depuis longtemps comme PJ Harvey pour son truc sauvage ou Kate Bush pour sa capacité à rendre tout féérique et fou. C’est marrant car les influences musicales ne sont pas mes seules influences je pense, il y a sûrement des imageries particulière, des choses que j’aimais quand j’étais petite, en fait il faudrait presque que je t’envoie un moodboard comme les agences de pub !
Ton single « Sighișoara » est aussi mystérieux que captivant. Que raconte t-il exactement ?
« Sighisoara » ça raconte une rencontre assez insolite que j’ai faite il y a 4 ans, en juillet 2019 quand je voyageais en Transylvanie. Un soir dans la citadelle de Sighisoara où je devais passer la nuit, je suis tombée sur une veillée funéraire qui avait lieu dans l’auberge où j’étais, avec des gens qui chantaient / riaient / pleuraient en roumain , peu de temps après la mort de leur proche : le poète Dan Lototchi.
Les proches en question m’ont invitée à rejoindre la tablée et j’ai moi aussi joué mes chansons, ça a généré une émotion assez particulière qui m’a vachement marqué. C’était un été spécial pour moi et j’étais un peu plus larguée que ce que je voulais bien admettre, donc cet évènement a pris une importance encore plus symbolique et j’ai choisi de l’interpréter comme un signe, j’en ai fait une chanson et je suis retournée à Sighisoara en mars dernier, à l’occasion d’une tournée de 2 semaines en Europe de l’Est, pour y tourner la plupart des images du clip. Chose que je trouve très cool et émouvante, il y a le fils de Dan Lototchi , Leon, qui écrit aussi de la poésie et qui déclame l’un de ses poèmes dans ma chanson – 4 ans après notre rencontre.
Et tu peux nous parler du clip qui l’accompagne ?
Le clip c’est marrant parce que, sans faire exprès, il est à l’image de cette nuit de 2019, et de la chanson : il a été fait sans aucune préméditation. J’avais prévu de faire des images un peu random, j’avais même dit à mon frère « ce sera un clip de montage plutôt qu’un clip de tournage » , je savais très bien qu’en étant seule, sans voiture, avec uniquement mon téléphone pendant moins de 48h dans la ville (avec un concert à jouer!) je n’allais pas pouvoir me balader et tourner 125 plans différents hyper travaillés et préparés, ni très variés car je n’avais pas de figurants ou autre.
Et le lendemain du concert, une bande de jeunes qui m’avaient vue jouer la veille m’ont retrouvée dans le seul bar un peu cool de la citadelle, et ils étaient un peu fan, intimidés et surexcités, c’était vraiment improbable ; ils m’ont amenée avec eux à la fermeture du bar dans le cimetière saxon de Sighisoara, pour faire une sorte d’after secret dans le noir complet, et c’était un moment inattendu et sauvage et libérateur qui m’a paru être un bon truc à immortaliser pour le clip. Une forme de résolution, un épilogue général…
Quelles sont les sentiments, que tu cherches à exprimer dans tes chansons et qu’est ce que cela te procure lorsque tu joues en public ?
Il y a un point de départ qui est souvent une situation ou une émotion un peu lourde pour moi, puis je choisis quand il est temps d’en faire une chanson, ensuite les deux « issues » possibles procurent des choses assez différentes. J’aime bien passer du temps en studio et faire le petit chimiste, des choses minutieuses, inventives, définitives ; quand le morceau sort, je me demande toujours comment il sera reçu mais finalement le partage de ressenti se fait de manière assez virtuelle. Inversement, avec un live, c’est forcément plus risqué, plus vivant, plus fort pour moi car les gens sont sous mes yeux (ou moi sous les leurs). J’ai un faible pour ce danger excitant du live, qui peut parfois être foiré parce que l’orga ou le public ou moi on est pas à fond ; mais qui peut être vraiment magique. Quand c’est bien, c’est vraiment super super bien.
Quels sont tes prochaines actus ?
Eh bien là je vais jouer mes 2 derniers concerts de la saison les 4 et 5 juillet en région parisienne, puis dernière ligne droite en studio cet été pendant quelques semaines, et je reprends la tournée à partir du 9 septembre avec déjà plusieurs dates dans les tuyaux, un peu partout. Il y a aussi la sortie du troisième et dernier single de l’album au tout début de l’automne, et l’album qui normalement sortira pour la fin novembre.
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Photo de couv. (c) Léa Grégoire