John Madden est un réalisateur « vintage ». Les coups de feu au ralenti, les prises de jiu-jitsu dans des carrières désaffectées ? Très peu pour lui. Les affrontements urbains ? Non plus. Le cinéaste affectionne un certain « savoir-faire » à l’ancienne et privilégie le jeu des acteurs aux éboulis d’effets pyrotechniques.
Sa marque de fabrique ? La reconstitution historique. Son credo ? Le suspense et le charme nimbés de flegme britannique.
Sa recette pourrait s’apparenter à une élaboration un brin datée mais il n’en est rien.
Ecartelé entre le drame intimiste cher à James Ivory et le blockbuster domestique, John Madden déploie des trésors d’ingéniosité pour nous séduire tout en nous faisant réfléchir.
Pour preuve, son implication dans la série des « Sherlock Holmes » avec l’inoubliable Jeremy Brett et « Shakespeare in Love », son 4ème film, qui allait lui ouvrir les portes d’Hollywood dès 1998 et récolter un nombre incalculable de statuettes dorées.
Coup de chance ? Engouement soudain pour la patrie d’Agatha Christie et ses représentants sur grand écran ?
Plutôt l’érosion de produits calibrés outre atlantique et l’acting surpuissant de comédien(ne)s triés sur le volet.
A l’orée des années 2000, Old School is the New Cool.
Madden est son prophète et prouve, contre toute attente, que l’on peut ressentir des frissons, un thé à la main, au beau milieu d’un salon victorien.
Le cinéaste embraye dès 2001 et donne l’occasion à Nicolas Cage (encore lui !) de montrer une facette méconnue de son talent : l’incarnation d’un personnage au romantisme suranné.
Doté d’un casting glamour (Penelope Cruz, Christan Bale, John Hurt), d’une photographie sublime et d’une réalisation élégante, « Capitaine Corelli » est éreinté, injustement, par la critique et boudé par le public.
Il faudra attendre 2010 et les deux opus d’un « Indian Palace » truculent pour que notre réalisateur anglais retrouve le chemin du succès.
Il enchaine, en 2016, avec un projet plus sombre qu’à l’accoutumée, « Miss Sloane », porté par une Jessica Chastain incendiaire (nominée à juste titre pour son interprétation aux Golden Globes).
Mais, à nouveau, l’audience ne suit pas, en dépit de critiques élogieuses.
Panique en cuisine.
Le « rosbeef » et ses carottes seraient-il cuits ?
C’est mal connaitre notre homme.
Six ans plus tard, John Madden adapte l »Opération Mincemeat » de Ben Macintyre et signe, incontestablement, son meilleur long-métrage à ce jour.
Car « La Ruse » est de ces fresques intimistes et surréalistes sur le fil. Intimiste dans le sens où tout se joue dans des bureaux et des cellules de crise. Où les dialogues sont des dagues acérées, les murs ont des oreilles et les cœurs battent en sourdine. Surréaliste dans l’élaboration d’un plan kamikaze et farfelu, à savoir la construction d’un personnage fictif dans la dépouille d’un cadavre afin de déjouer les plans d’invasion d’Hitler !
Oubliez les missions casse-cou du MI5. Les dérapages controlés à Notting Hill.
« La Ruse », c’est James Bond qui prendrait ses quartiers à DownTown Abbey. Ou la taupe dans un boudoir.
Déjà vu ?
Oui et non.
Hors du temps mais absolument contemporain, ce thriller d’espionnage a le pouvoir de nous hypnotiser sans que nous puissions décrocher notre regard de la toile blanche. Les ingrédients addictifs qui peuplent cette reconstitution sont nombreux : actrices et acteurs complémentaires/ ami(e)s de longue date, mouvements de caméra sensibles mais quasi imperceptibles, romance, twists scénaristiques et contexte politique tendu, tout est au service secret de sa Majesté et d’un public acquis.
Certes, la patine, le savoir-faire et l’ouvrage sont des marques distinctives chez Madden.
Mais qui s’en plaindrait ?
L’affiche a des airs de Dream Team et d’Organised Crime?
J’y vois la promesse d’une qualité d’interprétation frisant l’excellence.
Madden assure ses arrières sans se forcer….et alors ?
Je (p)résume :
L’impérial Colin Firth (dois-je rappeler ses faits d’armes ? « A single Man », « KingsMan », « SuperNova », « Le discours d’un Roi », « Bridget Jones », etc.…) partagea l’affiche avec la troublante Kelly MacDonald dans « Nanny McPhee ». Matthew Macfadyen, acteur monolithique et romantique, lui donna la réplique dans « Anna Karénine » de Joe Wright. L’immense Jason Isaacs/ Lucius Malefoy dans « Harry Potter et les reliques de la mort » de David Yates, la croisa sur le plateau susnommé. Enfin, Dame Commandeur Penelope Wilton fit partie de la distribution d' »Indian Palace » et…d' »Orgueil et Préjugés » de Joe Wright !
Réseau pointé.
Mais pourquoi s’ennuyer à redistribuer des cartes gagnantes ?
Le producteur du « Bon Gros Géant » sait s’entourer et rafle la mise.
Scénario inspiré d’une histoire vraie, casting « so british » à tomber, réalisation classieuse et clin d’œil amusé à l’agent 007. En fin de partie, « La Ruse » se déguste comme une session de RISK accompagnée d’un bon whisky.
High & Dry.
Rien que pour nos yeux.
John Book.
Crédits photos : Netflix / Warner Bros.