‘’Durant mes trois premières années à New York, je n’avais jamais parlé à quiconque du fait que j’avais chanté dans un groupe’’ (NDLR : Transpolis, cf chronique n°3 du dossier).
‘’J’avais enfoui ça en moi, je ne voulais plus en entendre parler ! Mais j’entendais parfois des trucs très sombres sur lesquels j’aurais aimé chanter. J’imaginais une sorte de prêche, du talk-over sur un truc noise, sombre et un beat hypnotique… ‘’.
‘’La première fois où j’ai entendu le groupe d’Adam Humphreys avec Mike Pate etJonathan Doyle, ‘’Off the between’’ (littéralement, ‘’Hors de l’antre’’), c’était à Trash (ex-Luxx, LA boîte de l’electroclash), dans mon quartier, sur Grand Street, Williamsburg, vers 2004. Ils me connaissaient par mes dj sets et cela faisait un moment qu’ils me disaient de passer les voir en concert. Ils jouaient un truc dark-shoegaze-noise. J’ai trouvé ça tellement bien que j’ai eu l’envie de bondir sur scène pour prendre le micro !’’.
‘’On partageait les mêmes goûts et références anglo-saxonnes post-punk, shoegaze & cold wave. Et comme ils me voyaient comme le ‘’Mr. New Wave’’, ils m’ont proposé de jouer du synthé dans le groupe !!?! J’ai décliné, amusé. Mais ils ont joué pour ma ‘’New York going away party’’ en mai 2005, dans un loft à Brooklyn. Et je suis monté sur scène pour un bis surprise au chant avec deux reprises de Joy Division (Sthg must break) et The Cure (A strange day)’’.
‘’Ce n’est que lors d’un séjour new yorkais à l’automne 2005 que je leur ai fait part de mon envie de chanter avec eux. Ma façon de pitcher le truc a été de dire : ‘’Continuez de faire ‘’Off between’’ et avec moi, on en fait une version pour le marché européen voire français. Ça les a fait rire et tout est parti de là. On a directement maquetté quelques trucs. Adam avait plein d’instrumentaux en stock ! Pas de répét’, ni de concerts’’.
Le groupe – Gilles Le Guen (chant), Adam Humphreys (guitare, basse, synthé, boîte) et Mike Pate (basse, batterie) – s’appellera Denner.
‘’Début 80, je regardais beaucoup le ciné-club sur Antenne 2 le vendredi soir. Le film ‘’La vie à l’envers’’ de Alain Jessua, m’avait totalement retourné (NDLR : film sorti en 1964, dont Martin Scorsese affirmera qu’il avait été une de ses plus grandes sources d’inspiration).
Le rôle principal était tenu par Charles Denner, un acteur que j’adore ! Je m’étais dit ‘’Ouahh ! Ça c’est un film cold wave !’’. Je l’utilisais d’ailleurs comme visuel vidéo pour mes soirées au Blu Lounge. Un video-club de Bedford avenue, Williamsburg l’avait en stock !?’’.
‘’Et puis, deux syllabes, ça sonne bien et c’est prononçable en anglais et en français. Adam n’était pas particulièrement enchanté lorsque je lui ai dit que je voulais appeler le groupe ainsi ; il s’est foutu de moi en lâchant : ‘’Dinner is served !’’.
‘’Des boulots sur le home studio recorder digital à K7 dans le one-bedroom d’Adam où une ébauche de ‘’You seem so far away’’ et ‘’Speak low’’ prennent forme. On jamme tard sur ce magnéto digital, à la Budweiser, dans c’t’appart sous le Williamsburg Bridge. Une démo de ‘’Something must break’’ est captée par Phil Paison, de nuit en full band dans un studio d’East Village, Manhattan, un Pro Tools chez un ami pour fixer l’arrangement sur le Kurt Weill. Puis à l’automne 2008, à Bruxelles, une maquette deux titres chez Gabriel Séverin, avec Etienne Vernaeve (Isolation Ward, Les Disques du Crépuscule) à la batterie. Et entre Belgique et Brooklyn, on finalise une reprise de ‘’Exposition’’ pour le ‘’Tribute to Charles de Goal’’ ’’.
‘’S’en est suivie une période excitante d’échanges de fichiers digitaux au-dessus de l’Atlantique. Et de composition virtuelle de titres à distance. Puisqu’en mai 2007, j’ai été expulsé du territoire américain… Banni pour dix années. Il a fallu beaucoup de détermination pour le faire ce foutu album. Je voulais raconter une histoire. Créer sa propre mythologie à ce faux-groupe, avec ses armoiries. L’inscrire dans l’Histoire. Un fake ! ‘’.
Le premier album, ‘’Nouvelle-Bretagne’’, finalement enregistré et mixé en mai/juin 2010, au Laboratoire Central par Gabriel Séverin, à Bruxelles, avec quelques overdubs à Brooklyn, sort en vinyle à 300 exemplaires à l’automne 2010. Quelques boutiques physiques en France et web espagnoles, belges, allemandes, hollandaises, et Wierd Records qui le distribue aux US. Il est épuisé. Une réédition cd est envisagée.
J’avoue avoir été séduit par les mélodies cold wave accrocheuses, chantées avec emphase, ce qui rajoute à la crédibilité et la force des huit morceaux.
Plus particulièrement par le titre ‘’Nouvelle-Bretagne’’ (peut-être parce que dans ‘’Nouvelle-Bretagne’’, il y a ‘’Bretagne’’ ?), un nom de contrée à conquérir qui nous téléporte sur les sentiers de l’imaginaire, ceux de la baie d’Hudson, du Labrador, du Nouveau-Brunswick et du Maine oriental, non loin du Cap Bathurst posé sur un énorme glaçon dans le roman d’aventures ‘’Le pays des fourrures’’ de Jules Verne.
Il me revient également en mémoire l’émigration pendant près d’un siècle, de 1880 à 1970, de 11 500 Bretons du canton de Gourin qui ont franchi l’Atlantique par nécessité, ne trouvant pas d’emploi dans les travaux traditionnels de l’ardoise et de l’agriculture.
‘’Nouvelle-Bretagne’’ est un hymne fédérateur pour ces pionniers devenus ‘’oncles d’Amérique’’ pour les générations qui ont suivi.
Alechinsky.
Lien d’écoute Bandcamp : https://denner.bandcamp.com/album/nouvelle-bretagne