« First Cow » de Kelly Reichardt. Comme un cowboy à l’âme fresh.

Septième film pour la cinéaste indépendante la plus brillante du moment et septième merveille ! « First Cow » prend le « film de cow-boys » à rebours et mise sur les micro-évènements-comme révélateurs de la société américaine- plus que sur l’emphase et les grands espaces.
Quel régal ! J’attendais beaucoup de cette réalisatrice atypique et nulle déception à l’horizon. Mieux, l’on sent chez Kelly Reichardt une maitrise et un véritable plaisir à composer avec un budget moyen, et cela en dépit d’une reconnaissance mondiale.
« First Cow » aurait pu bénéficier d’un scope époustouflant ou d’un casting plus attrayant. De scènes mordantes et d’enjeux psychologiques dignes du « Train sifflera trois fois ». Mais c’est mal connaitre la filmographie exigeante d’une artiste pas comme les autres.
Car depuis « River of Grass », Miss Reichardt (dont une salle de cinéma parisienne vient d’être baptisée à son nom !) ne cesse de creuser le même sillon : s’adresser au genre humain et à l’Humanité via une narration minimaliste.
Ses faits d’armes ? Directrice artistique pour « L’incroyable vérité » d’Hal Hartley (alors Pape du cinéma indépendant américain et réalisateur surdoué) dès 1989 puis assistante-réal’. Todd Haynes l’engage sur son film « Poison » dès 1991.
Et c’est l’envol.
« OLD JOY ». « WENDY & LUCY ».
« NIGHT MOVES »…

Ici, les gestes répétitifs frôlent l’intime. Les relations humaines sont bâties sur des rencontres fortuites et les salopards sont sur leur 31. Rien d’extravagant. Juste le temps qui égrène ses secondes et le quotidien par le trou de la serrure.
Dans ce nouvel itinéraire made in USA, les béances sont nombreuses. Les temps suspendus sont, à présent, la marque de fabrique d’une réalisatrice envoutante et les respirations comme autant de mouvements du cœur.
« Cookie », cuisinier timide, croise le chemin de King Lu, immigrant chinois, sans se douter que cette rencontre décisive scellera une amitié inaltérable… Jusque dans la tombe.
Pour donner corps à son deuxième western contemplatif, notre scénariste s’est entourée d’une distribution remarquable.
John Magaro (entrevu dans les séries « Orange is the New Black », « The Good Wife », « Person of Interest » , « Jack Ryan » et le terrifiant film d’horreur « Overlord » de Julius Avery) campe avec beaucoup de sensibilité un personnage lunaire. Orion Lee, son comparse, (barman dans  » Skyfall » de Sam Mendes et second couteau dans « Justice League » de Zac Snyder ou « Star Wars : les derniers Jedis » de Rian Johnson) incarne, avec sagesse, un roublard étincelant. Toby Jones, au pedigree insensé, se délecte dans l’interprétation d’un suffisant Lord anglais et Ewen Bremner, inoubliable Spud dans « Trainspotting », joue les hommes de main avec panache.
Kelly Reichardt serait-elle une adepte de l’Humanisme à la John Ford ? A en croire son amour palpable pour ses acteurs, la réponse s’avère positive.
Autre atout majeur, la réalisation « anti-cinématographique » de notre floridienne bien-aimée. A l’image de l’adaptation de Maupassant (« Une Vie ») par Stéphane Brizé, « First Cow » casse les bandes 16/9ème pour rétrécir notre champ de vision et offrir une perspective plus documentariste.

Point de « Bang Bang » ni de plaines verdoyantes. Point ligne de fuite et de plans extra-larges. L’auscultation se fera pointilleuse et centrée. Bucolique. Toutes les cellules (familiales, organiques, cosmiques) convoquées en de nombreux plans immobiles ou de travellings ondoyants.
C’est la grande qualité de ce long-métrage précieux en cette année 2021: nous faire, encore, croire.
Rêver. Voyager.
Ne passez pas à côté de ce rendez-vous au charme fou et laissez-vous (trans)porter par cette aventure intérieure.
Enfin, sachez que votre serviteur aura l’immense plaisir de présenter-tel Eddy Mitchell dans sa « Dernière Séance »- ce poème cinématographique ce samedi 13 Novembre au Cinéma « Le Jean-Gabin » d’Argenteuil dès 14h00.Au plaisir de vous y retrouver ?Fidèlement votre.

John Book.