Robert Zemeckis est un conteur de génie. Pour sa dernière incursion dans le genre « fantastique » (avant son adaptation de « Pinocchio » prévue pour 2022), le réalisateur de « Pôle Express » s’attaque à « Sacrées Sorcières » de Roald Dahl et nous offre un voyage cinématographique oscillant entre la fable morale et le film d’horreur. A l’instar de ma précédente critique d' »Oz, un voyage extraordinaire« , il est surprenant de constater à quel point les récents films destinés aux enfants font marche arrière et draguent les productions de la Hammer. Que ce soit dans « Alex, le destin d’un Roi » de Joe Cornish, « Maléfique » de Robert Stromberg ou les dernières productions MARVEL, le récit initiatique revêt, à présent, des couleurs bien plus sombres qu’à l’accoutumée. Objet hybride et effrayant, « Sacrées Sorcières » se situe exactement dans cette mouvance : à savoir un conte (défait) saupoudré d’un zest de noirceur.
Avec, pour parabole, le passage inévitable de l’enfance à l’adolescence.
Là où Steven Spielberg nous offrait un « Bon Gros Géant » digne d’une production « Amblin » des années 80, Bob opte pour le train fantôme via l’humour grinçant de « La Mort vous va si bien » et la maitrise visuelle de « Bienvenue à Marwen ». On ne vantera jamais assez les travellings somptueux où les panoramiques séduisants de Robert Zemeckis au travers de sa filmographie éclectique et populaire. Là où les movie-makers actuels se contentent d’un déluge d’effets numériques pour palier un scénario défaillant, notre ami américain privilégie régulièrement la narration au tour de passe-passe. Chez lui, les dernières avancées technologiques en matière d’image et de son ne sont convoquées que dans un seul but : être au plus près de la vérité, même si cette dernière revêt des atours merveilleux. Et s’il ne devait rester qu’un seul film pour prouver la prouesse technique dont fait preuve le comparse de Bob Gale, « Contact » serait-sans conteste- l’heureux élu.Cette « véracité féérique » », digne d’un Peter Jackson ou d’un George Lucas, montre à quel point Robert Zemeckis respecte son public tout en lui offrant l’opportunité de rêver plus grand.Le choix d’une histoire accrocheuse et d’un casting insubmersible vont aussi dans ce sens. De l’Entertainment, soit, mais quality first !Ainsi, c’est avec un plaisir gourmand que nous retrouvons la délicieuse Anne Hathaway (pressentie, un moment, pour incarner « Mary Poppins » en 2018) dans un rôle malmenant sa plastique irréprochable. Il faut voir avec quelle jubilation l’interprète de « Dark Waters » campe une vamp monstrueuse à tous points de vue. Démoniaque, perverse et insatiable, son personnage pourrait s’apparenter à une version girly de « Venom » ou un mix entre Cruella et Gollum. Pour lui donner la réplique, Octavia Spencer (resplendissante dans « La Couleur des Sentiments ») et Stanley Tucci (réalisateur du jouissif « Big Night » et acteur impeccable) mettent tout leur savoir-faire d’acteurs hors-pairs sans ironie aucune.Car nous n’évoluons pas dans un produit formaté, estampillé » tous publics ».Non. Point de Harry Potter chez les bonnes sœurs.
Point de chat noir, de balais, de marécages ou de chaudrons.Ici, la « Bitch Witch » s’habille en Prada, fréquente les hôtels de luxe et se repait de chair fraiche.La gueule grande ouverte.
Chauve qui peut !
Mi- Audrey Hepburn, mi-Sirène sanguine, Miss Hathaway joue avec les codes pour mieux s’en affranchir.
« Stuart Little » versus « Evil Dead » ? » Pretty Woman » versus « Jaws » ? Charlotte aux fraises ? Charlotte effraie !
Et ce mélange « glamour »/ »Halloween Party » -constamment sur le fil- désarçonne autant qu’il fascine.Car « Sacrées Sorcières », c’est « Thriller » chez Drucker. Du « Grand Guignol » à heure de grande écoute et tous les bambins en déroute.
Flippant comme la troisième partie de « The Twilight Zone : The Movie » ou « The Hole » de Joe Dante (je fantasme sur sa vision éventuelle de « La potion magique de Georges Bouillon »), cette adaptation n’a de cesse de jouer avec les genres et nos nerfs.Un éclat de rire pour chasser le stress et la main sur les yeux du neveu nerveux !Et pour le « happy-end » tant souhaité par l’audience prépubère ? On repassera, Matilda !
A sa sortie, » The Witches » fut taxé de racisme ou de long-métrage réactionnaire. Est-ce dû à l’accent « So Alabama » et trainant de la Grand-Mère ? L’aspect physique de la « Grandissime Sorcière » proche de certaines malformations physiques (l’ectrodactylie) ? L’ambiance du Sud des USA en 1968 ? Un point de vue passéiste ? Nul ne saurait dire.C’est le grand Mal de notre société aseptisée. Refaire les Contes. Leur donner un nouveau sens sous le feu d’une actualité brûlante…là où il n’y a que pure narration.Le baiser posé sur les lèvres de Blanche-Neige. Consenti ou pas ? Virez-moi ces masques d’hypocrisie, que je me « Grimm »…
Ou serait-ce une jalousie disproportionnée des en-vieux d’Hollywood ?Qu’il narre la trajectoire en dents de scie d’un simple d’esprit, le long retour à la vie d’un photographe de figurines « animées » ou d’un teenager balloté dans des failles spatio-temporelles, l’excellence semble être de mise chez Zemeckis.Oscarisé. Primé. Multirécompensé.
Oui, ce réalisateur surdoué est un conteur de génie.Et, fatalement, face à cette débauche de talent…le conteur agace.
John Book.