“1923” de Taylor Sheridan. Cheval mouvement.

Les grands espaces. Les rivalités entre familles et propriétaires. L’Ouest sauvage.  La violence expéditive. L’honneur. Le 20ème siècle. La fin d’un Monde et l’annonce d’un nouveau.
Le premier épisode de la série originelle “Yellowstone”- saga familiale/western contemporain sur fond d’affrontements entre les Dutton et des politiciens véreux- n’avait pas laissé en moi un souvenir impérissable. La désagréable impression de voir un épisode de “Dallas” (tu te souviens ? ) en 2018, dopé aux amphétamines mais doté, néanmoins, d’un très beau casting. A l’annonce d’un préquel-situé en 1923, d’où le titre !- avec Helen Mirren et Harrison Ford, ma curiosité fut piquée.
Je ne connaissais pas trop le terme ” Binge Watching” avant de me lancer dans le visionnage frénétique de ces 9 heures en 8 épisodes. Trop enclin à regarder des films et la sensation de perdre mon temps avec des arcs narratifs à rallonge.
Je dois, à présent, m’incliner devant Taylor Sheridan, le créateur de la série, tant ses évènements morcelés et son scénario classique -mais ô combien généreux en termes de rebondissements- regorgent de scènes cultes .
Ce qui nous frappe dès les premières minutes, c’est l’appétence de ce scénariste pour la psychologie fort bien développée de ses personnages. Ici, chaque rôle est une entité en soi et chaque interaction avec un autre “caractère” est lourde de conséquences, de silence et de non-dits.
Ici, à l’image des bovidés gardés précieusement sur une parcelle de terre sacrée, on rumine plus que l’on s’exprime et c’est souvent à coups de crosse et de colts que l’on fait entendre sa voix. Chez les Dutton, on se la joue “old school”. Un fermier squatte les terres sans l’autorisation de ces derniers et s’en prend ouvertement et physiquement à ses membres ? Un tribunal en plein air sous forme de pendaison généralisée servira de réponse à cette déclaration de guerre.
Oui pour un comité d’agriculteurs. Oui pour une coalition entre fermiers pour cimenter le réseau de surveillance qui régit leurs plaines. Oui pour le progrès qui galope à toute vitesse vers les foyers. Mais dès qu’un rival mafieux entend faire parler la poudre pour mieux asseoir son pouvoir, c’est tout le clan Dutton qui s’érige contre la bêtise et l’injustice.
Louons le talent de conteur de Taylor Sheridan ! Monsieur prend son temps, certes, mais nous hameçonne comme personne. De séries en séries (“Tulsa King” est aussi vivement recommandé par votre serviteur) , cet acteur-producteur impose sa patte et renoue avec la grande tradition des héros américains ordinaires, friables et terriblement attachants.
Pour preuve, ce premier gros plan sur Harrison Ford à la gueule ravinée et tordue. Aucun ravalement de façade, aucun filtre. La superstar accuse les affres du temps sans broncher ni tricher. Classe. Helen Mirren (vue à ses côtés dans le brillant “Mosquito Coast” de Peter Weir) n’est pas en reste et là où certains cinéastes se seraient fourvoyés dans l’utilisation d’un féminisme forcé ou d’une partition gadget, le scénariste de “Sicario” offre cette dernière un rôle d’une rare authenticité. Authenticité. Tel est le maitre-mot de “1923”. Tel est le cheval de bataille du nouveau maitre incontesté de série télé.
Et si vous doutiez encore des capacités du créateur de “Comancheria” à nous transporter, jetez un coup d’œil sur la réalisation raffinée (cette photographie !) et sur la distribution affolante qui parsèment ses nombreuses sagas : Timothy Dalton, Robert Patrick, Sylvester Stallone, Jennifer Ehle, Andrea Savage, Kevin Costner, Kelly Reilly, etc…
De l’Afrique au Montana en passant par l’Europe, suivez les aventures mouvementées de cette famille atypique sur fond de Grande Dépression, de prohibition et d’hommage à Howard Hawks.
Oui !
Le vieil Hollywood est encore bien vivant. 
Du moins, sur le petit écran.
 
John Book.