DANIEL DARC. Les héros de Barbès prennent un peu de tendresse.

Je me souviens… Je me rappelle. Je me souviens de la découverte de Taxi Girl et, plus particulièrement, de la discographie de son leader, dans un appartement du 18ème arrondissement de Paris. Platine et caisson de basse. Écoute religieuse. Mon Ami Jean François Jacq (auteur-à présent- de deux inestimables biographies “Bijou: vie, mort et résurrection d’un groupe passion” aux éditions L’écarlate et “Ian Dury: Sex & Drugs & Rock N’ Roll” aux éditions Ring), amassait dans son habitat les pépites sonores et s’empressait de me refaire mon éducation musicale dans une fin de siècle annoncée et frémissante.

Focus sur un album: Nijinsky. “Il faut que tu écoutes cela, c’est sublime”. Des après-midi entières à écouter, décortiquer, s’enivrer et refaire l’arbre généalogique du rock français. Alain Z Kan. Starshooter. Jean Néplin. Les Rita Mitsouko. Edith Nylon. Les Stones et les autres. Je sais ce que je te dois, Jeff, Mes remerciements sont inaltérables…

Je me rappelle avoir vu-pour la première fois- Daniel Darc en invité surprise d’un concert de Diabologum au Café de la Danse. Border Line. État proche de l’Ohio. Je me souviens avoir découvert, bien des années plus tard, “Crève cœur” et être submergé de mélancolie.  Je me rappelle être vendeur, pour une enseigne culturelle, dans une vie antérieure et rencontrer cet ange déchu non loin de Barbès. Hasard et coïncidence. Je me souviens de nos discussions passionnées dans les rayons autour de nos tatouages respectifs, de ta passion pour Elvis (“regarde, je suis un vrai fan, j’ai même une copie de sa pièce d’identité dans mon portefeuille, je suis une vraie groupie, hein?”) et de tes recherches concernant une nouvelle sortie éditoriale de ses films. Je me rappelle de ta gentillesse, ton humilité, ton sourire en coin et ton regard doux. Je me souviens de ta générosité et de ton érudition.
“Tu ne connais pas cet auteur? Attends, c’est génial! Bouge pas, je te l’achète!”
-“Non, non, Daniel, cela me gêne…”.
De ton rapport à la religion. Et de ta foi profonde. Je me rappelle des clientes et clients qui s’approchaient de toi timidement pour te parler et du temps que tu leur consacrais. Tu ne refusais jamais un autographe. Je me souviens aussi de tes coups de gueule face à certains consommateurs malpolis. “Tu veux que je lui casse la gueule à celui-là?”
Je me rappelle de tes virées éthyliques avec Patrick Eudeline dans la section rock du magasin. De la sortie de ton nouvel album (“Tu veux que je te dise le titre de mon prochain album? “Amours Suprêmes”. Parce que j’adore Coltrane.”) et de ton duo avec Bashung. Frères d’âmes. Je me souviens d’un concert renversant, sur le fil, à “La Nouvelle Vague ” de Saint Malo. Première partie suave assurée par la délicieuse Berry, ensorcelant le public du haut de sa chaise de bar. Puis de ton entrée fracassante sur scène  et de ta reprise hallucinante d’un titre de Bob Marley.

De ta complicité avec Alice Botté, guitariste fiévreux… et de tes larmes sur son épaule.
“C’était énorme, ton concert, Daniel!”
-“T’étais là? Ho, c’est con, il fallait venir me voir backstage!”


Je me rappelle de ton attitude désinvolte et de ton cuir. De tes excès. Tu avouais, dans une interview télévisée que tu ne pouvais pas affronter la réalité sans alcool. Parfois, la vue même d’un gamin dans la rue te faisait fondre en larmes.  Je me souviens très bien de notre dernier échange parisien. Tu aspirais à une vie plus calme. Autre. A la paix. Tu regrettais d’être passé à côté de moments clef. Tu désirais un enfant. Je te disais que tout était encore possible. Qu’une Vie pouvait se recréer à chaque age. A chaque étape.  Puis une page de quatre ans s’est tournée. Et je me rappelle de ma tristesse infinie à l’annonce de ta disparition.   Hier, j’ai eu envie de te retrouver. Descendre la rue de Clignancourt. Saluer inévitablement et chaleureusement Abdel au Clair de Lune. Puis retrouver le magasin (dont le nom a changé) où presqu’une  décennie auparavant nous échangions nos passions. Flâner entre les disques et les bouquins. Des souvenirs affleurent (de peau).

Puis prendre la direction du Louxor, temple du Cinéma d’Art et d’Essai, où le documentaire qui t’est consacré passe dans la plus grande salle. Fin de séance et fin de partie. Barbès. Barbès. Et Barbès encore. La boucle est bouclée. Mon émotion palpable. Je laisse le soin à l’ami Stef’Arzak de vous donner ses impressions concernant ces “Pieces of my Life“. Pour ma part, je m’éloigne, avec ce refrain en tête:  
“Je ne bougerai pas aujourd’hui, penserai à mes amis 
À ceux restés, à ceux partis, à ceux partis 
Je resterai là aujourd’hui, trinquerai à mes amis 
À ceux restés, à ceux partis vers l’infini. ”  

Nous n’étions pas amis, Daniel. Tes confidences et ta confiance n’en furent que plus touchantes.  

John Book.

Photo (c) MARIE LE MAUFF